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Plus de couronne : plus de roi ?

Par Jeanne de Vaal le 7/6/2002 à 20:47:43 (#1610828)


Kehldarin et Jeanne marchaient depuis trois bonnes heures sous le soleil déclinant. La petite sente gravissait sans ménagement le flanc de montagne, pierreuse jusqu’à l’impraticable, escarpée jusqu’au vertigineux. Tous deux s’y accrochaient avec l’équilibre des chamois, évoluant avec une rapidité qui refusait de tenir compte de leur épuisement. La nuit ne tarderait plus à tomber et d’ici là, chaque pas était bon à prendre. L’un comme l’autre savaient pertinemment qu’ils étaient suivis, de trop près, par Falhorn et son père. Plusieurs fois, un petit lacet leur avait révélé leurs poursuivants, qui évoluaient presque aussi vite qu’eux, arcs en mains, carquois à l’épaule. « S’ils nous rattrapent, ils nous tueront » avait dit Kehldarin. Ce n’était hélas que l’expression d’une évidente certitude.

Le soleil bascula plus tôt que prévu derrière l’horizon. Ce qui était gris devint noir et ce qui était dangereux devint suicidaire. Ils convinrent qu’ils devaient choisir entre s’arrêter et redescendre tout ce qu’ils avaient gravi plus vite qu’il n’était humainement acceptable. Le plat d’une moraine dissimulait assez bien une anfractuosité peu profonde mais suffisante pour les abriter une nuit. Le grondement du proche torrent qui dévalait dans la combe ne les empêcherait pas de dormir et saurait cependant couvrir leur présence à l’ouïe des traqueurs. Ils se blottirent l’un contre l’autre et le sommeil ne tarda pas à venir.

Juste avant que ne naquît l’aube, le Lieutenant Shammana les réveilla d’un coup de botte peu ménagé. Ils reprirent la route sans transition, en la laissant sur place, puisque ses ailes l’empêchaient d’aller plus loin. Elle se réfugia donc dans leur cache et l’on entendit plus parler d’elle. Si tout se passait bien, ils atteindraient leur destination à mi-journée et ils auraient alors besoin de toutes leurs ressources pour survivre. Bien sûr, il aurait été incomparablement plus simple de passer par les cavernes de l’illusion pour atteindre l’île sombre, mais cela revenait purement et simplement à se livrer aux sentinelles haruspiciennes. La discrétion était non seulement leur seul atout, mais aussi leur seule chance. Leurs poursuivants ne manquaient pas de leur rappeler, apparaissant de temps à autre en contrebas, ils laissent planer en permanence une menace tangible et angoissante. Jeanne vivait un malaise inexprimable, hantée par des pensées récurrentes qu’elle ne parvenait à combattre, faute de pouvoir leur donner un nom. Derrière tout cela, la beauté sauvage des lieux passait totalement inaperçue, il n’y avait aucun œil disposé à en admirer la richesse et la diversité.

Le spectacle que le col révéla de l’autre versant s’imposa à eux sans attendre qu’ils lui prêtent attention. Aridité, désolation, mort. Il y avait peu de mots capables de décrire l’austérité funeste du paysage, comme s’il était plus question d’ambiance générale que de détails précis. Aux pieds des montagnes, le palais noir hérissait ses tours de son air le plus menaçant, sinistre à souhait. Etrangement, Jeanne constatait que son architecture était bien plus proche de celle du Palais royal que dans son souvenir. Enlevés les gargouilles et les délabrements du temps, les deux constructions étaient excessivement semblables. La démence du félon Gwengad ne connaissait aucune limite. Avec l’inquiétante et désagréable sensation de marcher sur le château de son roi, Jeanne emboîta le pas à Kehldarin, consciente de la proximité dangereuse de Falhorn et de son père.

Il n’y eut toujours aucune parole échangée jusqu’au midi, qui les vit arriver au pied des murailles sombres, exactement à l’opposé de l’entrée principale. Ils ne gardaient pas vraiment de souvenirs du chemin parcouru, si ce n’était une impression pesante, oppressante. Ce sentiment s’accrût de lui-même lorsqu’ils se vêtirent des tuniques négrescentes qu’ils avaient emportées. Leurs larges capuches dissimulaient leurs traits dans un anonymat qui approchait la perfection. Il était difficile de les distinguer des autres disciples de la confrérie de l’Ombre lorsqu’ils s’introduisirent dans le palais par un passage dérobé et cela leur fut probablement salutaire.

Une fois dans les corridors des geôles, ils s’étaient séparés de leurs embarrassants déguisements, contre toute prudence. Les lieux rappelaient à s’y méprendre les prisons de Silversky et, par association d’idée, les nombreuses patrouilles que Jeanne y avait menées. Elle s’expliqua ainsi le peu de surprise que lui provoqua la vue de Gilnir Tvar, dont la présence ne se justifia jamais. L’important était qu’ils se tenaient à présent face à la porte d’une cellule. La cellule pour laquelle ils étaient venus. Rien ne la distinguait des autres, ou presque, mais ils étaient certains de ne pas se tromper. Le « presque » tenait à la petite clé qui obstruait la serrure. L’instant avait quelque chose de terriblement lourd, l’aboutissement d’une tension insupportable. A l’intérieur, à travers la vitre crasseuse, le visage las d’Xl Wynn observait en silence les deux personnes venues la délivrer. Son regard s’efforçait de luire du dernier espoir que lui laissait cette intervention qu’elle n’attendait plus.

La main hésitante de Jeanne s’avança vers la clé et se referma dessus avec détermination. Ses yeux ne quittaient plus ceux de la prisonnière face à elle. Lentement, elle actionna la serrure et verrouilla d’un tour la lourde porte de métal patiné. Elle lut sur le visage d’Xl que celle-ci avait compris son geste, mais il n’y eut aucune réaction. « Que fais-tu, Jeanne ? » interrogea une voix chaude et anormalement proche, juste dans son dos. Ce timbre, elle ne pouvait le confondre avec un autre. Elle donna un second tour à la clé. « Arrête, Jeanne. » reprit la voix, calmement. Elle verrouilla d’un tour de plus. « Jeanne, c’est un ordre. » La voix du Lieutenant Doreggan avait davantage de fermeté, on ne pouvait se méprendre sur le sérieux de la consigne. La clé tourna encore. Plus rapidement. Plus fébrilement. Elle ajouta un tour, puis deux, puis autant qu’elle cessa de les compter ; la serrure semblait n’avoir aucune limite. Elle ne réfléchissait plus à son geste qui l’horrifiait, elle s’empressait de l’aggraver avec obstination, persuadée qu’elle était déjà allée trop loin pour que quoi que ce soit ait encore la moindre importance. Son Capitaine l’envoya rouler sur le sol d’un coup de poing qui lui fit perdre connaissance.

Elle reprit ses esprits dans une salle incroyablement familière sur laquelle elle était incapable de mettre un nom. Elle sentait très bien que la présence paternelle de Kehldarin avait disparu et elle eut alors l’impression d’être incroyablement seule. Une solitude purement subjective, puisqu’elle était entourée d’un cercle fermé d’une douzaine de personnes. Elle, assise, sale, les vêtements en lambeaux ; eux debout et scrutateurs. Inquisiteurs. Le Paladin Beltigan (ou était-ce le Guide Sardduc ?) l’apostropha le premier. « Je vous avais ordonné de disparaître, engeance du Mal ! ». Falhorn ne lui laissa pas le droit de répondre et la questionna durement : « Et mon cadeau de mariage ? Qu’en as-tu fait ? Dis-moi ! C’était un bien de famille ! Tu m’as trahi ! ». « Tu ne respectes plus les ordres, Jeanne ? » demanda le Capitaine Osten d’une voix doucereuse. « Comme tu m’as déçu… Cette confiance que j’avais placée en toi… J’aurais dû me douter qu’un jour tu trahirais ton Roi. » Sa dernière phrase avait été prononcée avec fatalisme, comme une condamnation. « Tu ne m’as jamais aimé, tu t’es bien moquée de moi. Voleuse ! Traînée ! » reprenait Falhorn, crachant les mots avec mépris. Jeanne voulait répondre, Jeanne essayait de répondre, mais aucun mot ne sortait de sa bouche. « J’espère que tu es fière de m’avoir pris ma place », s’immisça Kehldarin. « Comme tu dois te réjouir d’avoir brisé mes ambitions… Ton orgueil me dégoûte. Ah, quel beau juge tu fais, incapable d’assumer tes propres sentiments… Et moi qui avais tout fait pour t’aider… » Jeanne transpirait plus qu’elle ne l’aurait cru possible, incapable de se défendre de ces coups de poignard qui s’acharnaient sur elle comme sur une charogne inerte.

Les visages s’effacèrent sans disparaître, comme autant d’ennemis oppressants et sans nom déterminé, avec autant de regards braqués sur son impuissance. Une voix s’imposa sur leurs murmures accusateurs. Une voix qu’elle cherchait à oublier chaque nuit et qui nourrissait sa démence d’invivables insomnies. Encore cette voix. « Jusqu’où iras-tu, Jeanne ? Tu es malade. Tu es faible. Tu as déçu toutes mes attentes. Jusqu’où iras-tu ? ». Jeanne pleurait. « Je ne veux plus te voir, Jeanne. Disparais. Emporte ta honte avec toi. Tu es misérable. » Le Lieutenant Doreggan était debout face à elle et elle ne pouvait pas ne pas le regarder. Elle réussit enfin à parler, sa voix était brisée et méconnaissable. « Je démissionne, mon Lieutenant. Je laisse mon travail, j’abandonne ma vie. Je n’étais.. pas.. à la hauteur… Adieu, mon Roi… J’aurais.. tout donné.. mais je n’ai fait que prendre. Je suis indigne… indigne. » Le Lieutenant lui jeta un regard condescendant, les traits figés dans une indifférence de marbre. Il quitta la pièce comme si elle n’existait plus. Elle était prostrée. Au fond de son crâne, une voix résonnait, lugubre ; c’était la voix de son père. « Tu rends encore les armes parce que tu ne sais pas t’assumer ? Tu n’y trouve pas comme un air de déjà-vu ? Tu n’as vraiment aucune dignité. Tu n’en as jamais eu. » A mi-voix, elle répétait interminablement les trois même mots. « Je suis indigne. »

Elle ne vit pas Falhorn lever son arc et y placer une flèche empennée de noir. Elle entendit sa sentence, simplement. « Plus de couronne ? Plus de roi. » La flèche perça sa poitrine et son cœur.


Jeanne posa sa plume comme on se débarrasse d’un tison brûlant. Depuis son réveil, en sursaut et en nage, elle s’était appliquée à jeter son cauchemar sur le vélin, comme pour l’exorciser. Il n’était pas difficile d’en faire le récit, de l’extérieur, cliniquement, comme si elle n’avait aucun rapport avec tout cela. Se vider l’esprit de la sorte avait quelque chose d’apaisant, puisqu’elle n’avait personne à qui se confier, et surtout pas à qui confier cela. Elle chiffonna maladivement le papier et le jeta à l’autre bout de la chambre. Exténuée, elle se recoucha et parvint enfin à trouver un repos sans rêve.

Lorsqu’elle quitta l’auberge de Lighthaven, au lendemain matin, elle avait bel et bien oublié le vélin, gisant dans le coin d’une chambre.

Par The Marmotte le 7/6/2002 à 21:29:15 (#1611136)

:lit: :amour: *La Marmotte est plus que conquise par ce texte captivant et riche en emotions et est plus que jamais fan des recits de Jeanne*

Par Neo DoreggaN le 7/6/2002 à 23:34:34 (#1611921)

:eek: :lit:

Par Aina HarLeaQuin le 8/6/2002 à 2:46:12 (#1612721)

Trouve ce texte tout simplement magnifique... Pressée d'y voir une réponse rp... :merci:

Par Arken le 8/6/2002 à 3:13:25 (#1612790)

tout simplement magnifique

Par Alanis Lyn le 8/6/2002 à 9:40:27 (#1613289)

La demence des reves... echapatoires de nos tourments, exultation de nos aspirations... Sont-ils salutaires ?
Ou ne sont-ils que le destin qui nous poursuit encore et encore jusque dans les retranchement du sommeil ?...



(superbe texte...)

Par Kehldarin Osten MSF le 8/6/2002 à 9:57:34 (#1613329)

Il était encore tôt quand Halam était venu à la capitainerie de la ville. Les gardes n'étaient déjà plus là, partis à l'aube. Seul Deckar restait, pour une sorte de permanence. Levant les yeux vers l'aubergiste, il se leva pour le saluer, à la fois surpris de la venue du commerçant et content de sortir de la longue inactivité de sa matinée, depuis le départ de ses camarades.

- Bonjour messire Wyvern. Vous êtes donc seul ici?
- Hélas oui. Les autres sont en patrouille ou en exercice, et il faut bien que quelqu'un reste ici. Mais ça fait longtemps que vous ne venez plus nous voir, maitre Halam, quel bon vent vous ammène? Pas des ennuis, j'espere...
- Ne craignez rien, mon auberge me satisfait pleinement. Avec l'arrivée des beaux jours, les clients affluent. Des clients qui peuvent payer.
*petit sourire*
Mais je venais votre votre sergent. Il y a une semaine il s'est intéressé à une voyageuse qui s'était arrêtée dans mon établissement pour la nuit, et ...
- Une voyageuse? Etonnant. Il avait des raisons de croire que c'était une haruspicienne, une ogrimarienne ou une hors-la-loi?
- Absolument pas. D'ailleurs il n'avait pas l'air de penser à ça. Messire Tvar était avec lui, ils avaient l'air plus inquiets pour elle que suspicieux, en fait. Il n'en ont pas parlé. Parcequ'elle est revenue.
*hésite*
- Et en quoi puis-je vous être utile? Il sera sans doute là dans quelques heures, Arken n'a pas dit que ce seraient des exercices d'une journée entière. Cette feme a causé des troubles?
- Pas du tout, pas du tout. Une cliente modèle. Sauf que...
...
- Elle a oublié ça dans sa chambre, Geena me l'a apporté ce matin. Je l'ai lu, vous comprenez, ça pouvait être important. Et en fait je n'ai pas bien compris, mais comme il y avait le nom du sergent dedans, je voulais lui donner. Comme ça j'aurais pu lui rappeler de vive voix que l'auberge faisat des promotions sur la liqueur de framboise et que...
*le coupe*
- D'accord, d'accord. Bon, je lui donnerais. Après tout autant que la permanence serve à quelquechose.
- Ne vous en faite pas, je ne me souviens absolumlent pas de ce qu'il y a dans ce parchemin. Hop, c'est oublié.
*sourire amical*
- Merci Halam, mais n'en faites pas trop non plus. Si votre cliente a des ennuis, garder le silence ne serait peut-être pas très profitable. A vous de juger.
- Bon, alors je vais retourner à mon auberge, je ne voudrais pas que Geena s'occuppe seule des clients, même si à cette heure ils dorment encore. Je vais devoir vite rentrer. Au revoir messire.
- Au revoir Halam. Bonne journée

Par Ezechiel Vael le 8/6/2002 à 16:04:42 (#1615426)

Superbe :merci:

Par Phoenix Ardent le 8/6/2002 à 21:05:14 (#1617053)

moi beaucoup aimer texte de femme lumière

phoenix est venu
phoenix a lu
phoenix content

hugh, phoenix sortir maintenant :maboule:

Par Syndrael le 10/6/2002 à 10:31:16 (#1626232)

:lit: :)
Page 3 ? ----> Petit up.

Par Crazy le 10/6/2002 à 16:01:22 (#1628305)

:lit: :amour:

Par Deux âmes de Feyd le 13/6/2002 à 23:50:31 (#1651586)


Le soleil bascula plus tôt que prévu derrière l’horizon. Ce qui était gris devint noir et ce qui était dangereux devint suicidaire.


Ce post aussi est passé prématurément derriére l'horizon des lecteurs. En outre, la seconde phrase évoque autre chose pour moi. Quelque chose comme le souvenir d'une douleur récente (..) Il demeure sinon, à mes yeux, que ce texte est une de ces nourritures intellectuelles qui n'est que pur plaisir. Merci à l'auteur, on a vécu avec son personnage le temps de la lecture.

Par Pico Thy le 14/6/2002 à 2:06:43 (#1652091)

Quel bel exorcisme ! :)
:lit:

Par Shaitan Sardduc le 14/6/2002 à 18:35:06 (#1656131)

:( :lit:

Il y a des textes qui tombent dans les profondeurs de l'oubli,d'autres qui meritent d'etre lus.Celui la le merite.

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