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Rétrospective : Un lourd passé, déjà ...
Par Kalder'Shee le 12/4/2002 Ã 20:29:27 (#1275951)
Hem... bonne lecture... Pour ceux que ça intéresse bien évidemment.
Premier texte, après une arrivée à travers le miroir de la Reine Sorcière
Par Kalder'Shee le 12/4/2002 Ã 20:31:30 (#1275962)
Je suis assis à une table de l'auberge, seul. J'ai pu remarquer en entrant que les discussions les plus passionnées s'étaient transformées en chuchotements discrets. Aucun aventurier arrogant. Tant mieux, je ne suis pas d'humeur à subir leurs sarcasmes habituels.
Je commande sèchement une chope de bière à Geena, qui ne demande pas son reste et file comme un chat maigre chercher ma commande. Elle revient, pose la chope sans un mot et saisit la monnaie que j'ai posée sur la table.
Enfin je puis réfléchir en paix. Ce monde est fou. Si je n'éprouvais pas un tel respect et amour pour ma Reine, je serais déjà devenu comme lui. Fou.
Ici rien n'est comme sur Tawrun... Ou plutôt, tout est déformé. Les valeurs avec lesquelles j'ai grandi et qu'on m'a inculqué souvent par la force sont ici ouvertement bafouées. La magie est moins accessible, et différente. La pierre de destinée est une insulte à tout guerrier, parce qu'elle anéantit tout bonheur de s'être définitivement débarrassé d'un ennemi. On m'a toujours enseigné que s'il fallait enlever la vie, cela devait être fait avec intelligence, précision, et autant que faire se peut avec élégance. Or ici on ne respecte pas la vie, parce qu'elle est trop courante, donc de faible valeur.
Les gens de ce monde, quand je leur dit cela, me rient au nez... Fous qu'ils sont ! Ils pensent que Tawrun, avec son immuable et implacable loi du plus fort, exacerbée à l'extrême ne recèle pas un poète ou un sage. S'ils savaient ! Ils ne se rendent pas compte que les plus puissants y sont presqu'à coup sûr les plus intelligents, car dans leur monde, celui d'où vient cette bière que je porte à mes lèvres, l'on peut survivre sans une once de cervelle.
Chaque jour que Kcehtra fait, Tawrun devient plus fort. La raison en est simple : les forts tuent, les faibles meurent. La mort est depuis la nuit des temps une simple marque de faiblesse, et la faiblesse suffit à provoquer cet arrêt. Bien que cette éducation soit salutaire pour les familles nobles, elle se fait au prix de l'humanité de leurs enfants... Le prédateur se fait finalement dominer par son désir de chasse, il réclame toujours plus de victimes, de plus en plus puissantes et de plus en plus terribles... Jusqu'à sa propre annihilation.
Malgré les années de formation stratégique, logistique, militaire, malgré les années de docile servitude dans une garde où erreur signifie souvent exécution, malgré les années passées à la tête de cette garde, épié et jugé par la Reine et par les officiers qui n'attendent qu'une erreur pour prendre le poste, et malgré les égarements qui m'ont poussé à perpétrer les pires barbaries au nom de la guerre et de ma lignée, j'ai commis le scandaleux exploit de garder une partie de mon âme intacte, celle qui me permet ce soir d'apprécier avec assez de recul ce sort, que je partage avec ma Reine. Pour cela, j'aurais dû mourir, et grâce à cela je suis encore en vie. Ma devise devrait être "Force et Faiblesse"... Mais quand on est issu d'une lignée de Barons, certaines choses surgissent du passé pour envahir l'avenir. C'est ainsi.
A présent je commence à douter de voir à nouveau mes terres. Ici je ne puis mourir, alors le temps me semble long... infiniment long. Je me vois encore enfant, découvrant les moindres cachettes de ces terres froides et inhospitalières, devant lutter contre les loups qui rôdent. Je me vois adolescent, conquérant et exemple même de ce que désire tout Baron : un fils arrogant, sûr de lui, prédateur aguerri. Je me vois adulte, prenant pour épouse une femme que mon père avait choisi pour moi à la naissance... Je me vois, a la guerre, monté sur un puissant kraalag noir de jais, prenant les vies comme on cueille les fruits mûrs. Je me vois furieux, fulminant et hurlant contre mon fils unique, que je juge avec sévérité indigne de ma lignée. Je me vois à genoux, essayant à grand peine de cacher mes larmes, à coté de ce fils que je viens de tuer de mes mains dans un accès de rage. Enfin je me vois assis à une table, comme ce soir, prenant enfin conscience de ma vie, de ma folie. N'en déplaise à l'adage, quelquefois il est trop tard pour bien faire.
Mes terres me manquent, car elles sont tout ce qui me reste. Je saurai néanmoins attendre, car ma Reine est la seule personne à laquelle je tienne, et la seule personne que je désire servir. Je n'ai jamais eu tant de dévotion envers sa mère...
Ma chope est vide, tout comme mon désir de rester dans cette taverne. Je me lève, et pars sans un mot, encore vaguement songeur. L'entraînement m'attend, encore et encore.
Par Kieloria le 12/4/2002 Ã 20:35:43 (#1275981)
Par Azreth le 12/4/2002 Ã 20:58:02 (#1276078)
Par Holdrik Syhn GR le 12/4/2002 Ã 21:19:54 (#1276177)
Par Karlin Krieg le 12/4/2002 Ã 22:22:50 (#1276471)
A bien y reflechir je crois bien que c'était avant ta propre arrivée mais qui sait, tu pourrais peut être ressortir cette oeuvre de ta manche d'un habile tour de passe-passe ;)
Un monde à découvrire...
Par Galadrielle le 13/4/2002 Ã 2:14:51 (#1277410)
Par Kalder'Shee le 13/4/2002 Ã 3:10:36 (#1277613)
Pourtant je l'avais retrouvé, ce post, j'en avais même gardé l'url... mais je crois qu'on peut tirer un trait sur ces vieux vieux posts, à présent.
Par Kalder'Shee le 13/4/2002 Ã 3:18:49 (#1277637)
Nos plus puissantes armées n'ont jamais eu peur que d'une seule chose. De nos jours, la cause de cette peur est ensevelie dans les montagnes de l'oubli, mais quelques personnes savent encore. J'ai pu, pour ma part, m'abreuver au vif savoir de la bibliothèque de mon manoir, et y apprendre beaucoup des angoisses superstitieuses de mon peuple. Y compris celle-là .
L'Ondée Ecarlate. Sa seule évocation fait frémir l'élite des cohortes de tous les Royaumes. Mais aucun soldat ne saurait en dire plus, ne serait-ce que pour conjurer le malheur. Il ne reste dans les mémoires que la prédiction sans faille de la tragédie, la mort à coup sûr, aveugle et vindicte, pour tout ce qui respire.
Que les esprits soupçonneux ne soient pas rebutés par ces pseudo croyances, car j'en ai moi-même fait les frais. Des quatre-vingt dix mille fantassins, cavaliers, archers, servants de machine et écuyers qui s'étaient réunis pour guerroyer, j'en suis l'unique survivant. Je ne m'en vante pas, cependant, car quel général se targuerait d'avoir abandonné son armée, vouée à une mort certaine ? Mais il est établi que le destin m'a épargné. Peut-être le raconterais-je tantôt.
Quant à cette Ondée Ecarlate, voici son histoire.
Alors que les montagnes étaient jeunes, et le ciel plus lumineux, Tawrun n'était pas encore à feu et à sang. Les guerres étaient rares, et les Seigneurs sans ambition. Mais vint le jour où une guerre se prépara.
D'aucuns disaient qu'elle était inutile et futile, car sa cause n'était autre que la dispute entre deux jeunes Seigneurs, qui se battaient bec et ongles pour posséder une femme d'une beauté indicible. Quoi qu'il en soit, les escarmouches succédaient aux massacres, et la guerre courait comme un chien fou vers son triste dénouement. L'ultime bataille approchait, prometteuse de triomphe et de destruction.
La profonde et large vallée de Hurleroc se préparait à être témoin de la plus grande convergence de troupes que Tawrun ait porté. Les armées se massaient de part et d'autre, silencieuses comme des ombres. Les étendards, mis en lambeaux par les trop nombreuses heures passées à voir se déchirer les hommes, claquaient au vent déjà furieux, et semblaient vouloir à tout prix se défaire de leur hampe pour fuir la présence de ces marées haineuses. Les renâclements des chevaux étaient les seules sons d'êtres vivants à des centaines de pas, tant la nervosité étreignait les guerriers.
Comme autant de spectateurs, les versants de la vallée hurlaient aux rafales du nord, qui depuis quelques heures les frappait de leur fureur glacée. Les rares arbres ployaient comme pour se réfugier sous terre, à l'abri de l'assaut des éléments, mais peine perdue ! Les plus hardis à se tordre étaient impitoyablement brisés.
Les nuages, déjà , s'amoncelaient, noirs et menaçants, se murmurant à chacun des imprécations impies. La colère montant, les cris se firent plus distincts, Tonnerre et Pluie. Les menaces ne suffisant plus, les front s'engagèrent. Aux cris de la charge humaine se mêlèrent ceux de la charge céleste, éclair et acier. Mêlés dans une fugace éternité commune, sang et eau, foudre et boue, l'homme tranchait la chair aussi bien que l'élément.
Bientôt, la nuit régna sur la vallée, au même titre que la mort. Le combat, mené rapidement à son paroxysme, consistait en une fuite désespérée en avant vers le plus grand carnage que Tawrun ait connu. Alors, danse funèbre dédiée aux hommes, une colonne d'air se créa au-dessus du champ de bataille, semblant provenir des entrailles des abysses. Ceux qui l'aperçurent prirent ce signe pour un bon présage. Mais ils déchantèrent vite, alors même qu'ils perdaient le contact avec le sol et s'envolaient au beau milieu du minaret éthéré.
En quelques instants plus rien ne vivait dans la vallée. Mieux, plus rien ne laissait supposer qu'il y eut combat. La pluie cessa, le vent tomba, les nuages disparurent comme du coton qu'on étire. Quelques heures plus tard, plûrent les restes des armées : armes, armures, machines de guerre, chariots... Mais aucun être humain, aucun cheval, aucune créature.
Et encore quelques heures plus tard, alors que des pillards s'évertuaient à prendre le plus gros butin, une pluie tomba malgré un soleil de plomb. Une pluie de sang, dense et lourde, qui dura un jour exactement. La légende dit que c'est depuis ce temps-là que le soleil de Tawrun meurt, qu'il prend à chaque pluie une teinte de plus en plus écarlate. Quelques grandes batailles eurent lieu depuis, et sur certaines l'Ondée Ecarlate éclata. La colonne d'air apparut immanquablement pendant la pluie, prenant les vies et ne laissant que la matière morte livrée à la nature.
La légende dit aussi que c'est la raison pour laquelle la Reine Sorcière a les cheveux rouges. La femme à la beauté indicible, pour laquelle cette guerre fut déclarée, devint peu après la première de cette Noble Lignée. Son Royaume s'établit sur les terres jointes des Seigneurs défunts, et leurs familles jurèrent à jamais de la servir. Deux baronnies furent créées pour ces familles déchues, dont il ne reste de nos jours que celle de Laek'Na'Tyl, la mienne.
Ceux qui osèrent soupçonner la Première Née, la Première Reine, la Prima Nobilis en ancienne langue, d'avoir ourdi un rituel, eurent un destin tragique, eux, leur famille, leurs amis et leurs serviteurs.
Par Kalder'Shee le 13/4/2002 Ã 15:21:06 (#1279383)
Et jamais des malheurs tu ne seras meurtrie !
Conjure le Destin de ne jamais pleurer,
Et comme pour moi-même il te fera payer...
La larme qui louvoie sur cette joue de pêche,
Navire en perdition pleurant sa forfaiture,
Est bien comme ce sang coulant de mes blessures,
Marque accusatrice d'infortune revêche.
Pour cela je t'admire et demande pardon
D'avoir osé parlé en de si mauvais ton.
De si beaux yeux suggèrent qu'ils ont assez pleuré,
Tant ils recèlent de lumineuse clarté.
Je ne te ferai pas l'affront de te décrire :
Cette folle cascade de cheveux noués,
Cet adorable nez, mutin jusqu'Ã mourir,
Cette bouche pulpeuse attisant les baisers,
Et ce relief charnu, promesse de caresses,
Constitue un trésor que toi seule intéresse.
Jusque là je n'ai fait qu'un bien piètre chercheur...
Puisse la Fortune corriger cette erreur,
Et me prêter les armes qui pourront trouver
L'Unique Gemme à qui je saurai me donner.
Puisse-t-elle à tes yeux me donner apparence
De ce que tu cherches, pour qu'enfin, intriguée
Tu voies ma main tendue t'inviter à la danse
De la vie, brûlante de tendre volupté."
Par Kalder'Shee le 13/4/2002 Ã 15:22:05 (#1279389)
Rêve de Bataille I
Par Kalder'Shee le 13/4/2002 Ã 18:41:53 (#1280464)
La fenêtre grande ouverte laisse pénétrer un vent glacial en provenance du nord. De là où je suis, je distingue les reliefs escarpés des Marches des Damnés, la chaîne de montagnes qui marque la frontière est du Royaume de Tawrun. Je n'ai pas froid, grâce à l'enchantement que j'ai lancé tantôt sur mes vêtements, et qui forme autour de moi une sphère d'isolement. Le ciel est rougeâtre, comme tous les matins en cette saison, et un rapace tourne lentement dans les cieux embrasés. Un brouhaha de cris et de métal remonte de la cour intérieure du fort où les Tzaren sont stationnés, et où ils s'entraînent.
Je me concentre à nouveau sur la carte qui repose sur la table devant moi, décrivant sur le papier la région à plusieurs lieues. J'étudie la position de la Citadelle Arquée, lieu dans lequel je vis depuis déjà une semaine. Le bâtiment protège les deux cols principaux de la région, au moment où ils se rejoignent. Aussi, la structure est composée de deux murailles non jointes, séparées par un versant de montagne, disposées en arc de cercle, mais dont les cours sont communes. Les différents baraquements suivent, et plus loin une muraille unique, derrière laquelle roulent à perte de vue les terres du Royaume de la Reine Sorcière.
J'étudie à nouveau les positions ennemies, rapportées par mes éclaireurs, et constate que les troupes qui arrivent sont vraisemblablement soutenues d'un appui magique, au vu de leur vitesse de progression. Ils sont donc tombés dans mon piège, et m'ont dévoilé un nouvel atout de leur jeu...
Au moment où je comptais vérifier à nouveau le soutien logistique de mon armée, j'entends frapper à la porte. Un Drei Tzaren entre, exécute le salut à la perfection. Je ne l'ai jamais vu, il doit s'appliquer pour ne faire aucune erreur. Je lui donne la parole d'un hochement de tête.
"Commodore ! Nos éclaireurs signalent des engagements directs à moins de deux lieues.
Ma voix est de marbre quand je lui réponds.
- Cela a commencé. Leurs éclaireurs commencent leurs manoeuvres de sape.
Doublez les escouades, et faites envoyer trois groupes de quinze cavaliers patrouiller le long de la faille de Sieger, pour qu'ils signalent une éventuelle offensive par ce flanc. Leur consigne est de revenir au moindre signe ennemi. Exécution.
- A vos ordres, Commodore ! Lance-t-il avant de saluer et partir précipitamment."
La porte se referme derrière lui... Je lance un soupir profond, et me déplace vers la fenêtre. Les mains posées sur le rebord, j'observe. Tous ces gens... réunis pour mourir. Ils le savent, et même ils l'espèrent. Parmi eux s'entraîne peut-être celui qui me tuera, moi, pour recevoir la prime que lui aura promis le Ein Tzaren Laakhtah, qui en ce moment même doit se prélasser dans sa villa luxueuse de la capitale. Un seul assassin ? Peut-être deux, trois, ou même plus ! A chaque bataille je dois combattre autant nos ennemis que nos alliés...
Je préfère oublier cela pour voir se préparer les patrouilles que j'ai demandé, et jeter un regard perplexe vers le bois qui couvre le tiers du col du grand repli, celui des deux qui serpente vers le nord-est et s'élargit à quelques centaines de mètres. Des éclaireurs m'ont signalé la présence d'une petite escouade d'archers, mais selon leur rapport il valait mieux ne pas s'en préoccuper, leur nombre étant trop peu déterminant. Nous verrons cela en son temps. Les kraalags piaffent à l'idée de sortir de la citadelle, et bientôt les quarante-cinq cavaliers partent.
Reprenant ma place assise, je saisis le nécessaire d'écriture, et écrit un message... Il est temps d'appeler un ultime soutien. Ils arriveront très bientôt, mais peut-être trop tard, finalement. Attendre plus longtemps serait dangereux. Une fois l'ordre achevé, je reviens à la fenêtre, d'où j'appelle le rapace d'un sifflement. Il vient se poser, et rapidement j'attache la missive à sa patte. Il sait où aller, il ne mettra que quelques minutes à peine. Ses battements d'ailes résonnent quelques instants, et disparaissent...
Puis, je me tourne vers le présentoir où repose mon armure, forgée dans le sang du Grand Dragon Morgorath, père et dernier des Grands Dragons... Ses reflets noirs d'obsidienne semblent vivants, et je les soupçonne un instant de m'appeler par mon vrai nom... Je commence à en enfiler les pièces, légères mais d'une densité mercurienne, et l'Esprit du Dragon me pénètre à mesure que mon corps se recouvre... Je saisis enfin le heaume, les sens enflammés par la rage de celui qui a vu son sang couler pendant tout le temps de la forge, et qui fut exécuté de la main même du porteur de cette armure une fois ciselée. Je le place sur ma tête...
Comme à chaque fois, je revois dans un éclair le dernier regard du Dragon, celui qu'il me lança juste avant de baisser les yeux en signe de soumission, et de m'offrir sa gorge, n'attendant plus que le coup de grâce après tant de souffrance. Alors nos deux personnalités se fondent et se mêlent, rage et courage, passion et maîtrise, fer et fureur ! Il ne couvre ni mon visage ni mes yeux, mais l'enchantement qui fut pratiqué le rend plus protecteur qu'un heaume plein. Comme de coutume, j'observe mes mains, serre les poings pour faire jouer les articulations silencieuses. Je vais chercher le baudrier sur lequel est accroché mon épée, le sangle, et enfin sors de cette pièce.
Plusieurs officiers m'attendent en bas. J'écoute attentivement leurs rapports, lance quelques ordres, et monte sur les remparts de la muraille nord. Un Zwei Tzaren me suit. Nouvellement promu, il doit vouloir m'impressionner par sa connaissance de la guerre. Sans me laisser démonter, je le laisse parler sans même écouter le moindre mot de son discours. Je n'observe qu'une chose... Ce bois... Je crois percevoir des mouvements, mais tellement furtifs qu'ils pourraient être produits par le vent. Le Zwei Tzaren continue...
"Commodore ! Ce bois est effectivement sous le contrôle d'un petit groupe d'archers sans importance, pour lequel le déploiement de forces serait inutile, car nous estimons que pour effectuer une battue efficace, il faudrait au moins 150 Tzaren, aussi il est inutile de fatiguer nos hommes dès à présent pour si peu d'efficacité..."
Je décide de faire abstraction du reste de ses paroles, alors que mon regard est attiré par le groupe de cavaliers envoyé tout à l'heure, qui revient déjà . Lancé au galop, il sonne le cor selon le message d'urgence... Je plisse les yeux, regarde sur leurs arrières, et soudain surgissent du relief les étendards ennemis, sur toute la largeur du col.
"Par les quatre vents, ils sont déjà là ! Ouvrez les portes pour laisser entrer ces cavaliers, et préparez-vous au combat ! Rugit le Zwei Tzaren à mes côtés. Je le regarde, puis lance un regard vers le bois, au nord-est... Les portes de la citadelle s'ouvrent...
- Non. Refermez les portes, dis-je d'une voix dure.
- Commodore ? L'officier se tourne vers moi, interloqué. Il faut les laisser entrer.
- Fermez ces portes, j'ai dit. Donnez-leur l'ordre de se réfugier dans le bois, là -bas.
- Nous ne pouvons faire cela, Commodore ! Il s'agit de troupes d'élite et..."
Il n'a pas le temps de finir sa phrase que mon poing vole vers son visage. Je sens son nez céder sous mon gantelet noir d'ébène, et il s'écroule, inconscient, peut-être mort. Je me charge de donner les ordres, en montant sur les créneaux et en hurlant aux Tzaren postés aux portes et chargés de transmettre les signaux :
"Fermez ces portes ! Donnez-leur l'ordre exclusif de rejoindre ce bois ! Exécution !"
Le messager hoche la tête, et sans hésitation il exécute les mouvements adéquats.
J'observe la troupe ennemie arriver... Au moins 5000 guerriers, en rang, étendards haut levés... L'escouade Tzaren, au vu du message et de la porte se refermant, cesse sa course. Les hommes paniquent un instant, les kraalags fumant de sueur en condensation, puis ils se lancent vers le bois. Je jette à nouveau un regard vers ce qui arrive. Un vent magique les porte, à bonne allure mais surtout sans fatigue. Ils seront vaillants et frais, en plus d'être plus nombreux. J'entends derrière moi les ordres fuser, les troupes marcher sur les remparts, les machines de guerre se charger... De nombreux Tzaren sont à présent juste derrière moi, certains montent comme moi sur les créneaux.
J'entends à nouveau la voix désagréable du Zwei Tzaren... Il se relève, et viens observer. Je lui livre mes constatations :
"Les troupes ennemies seront présentes dans moins d'une demi-heure. Elles seront fraîches et prêtes à en découdre. Elles sont plus nombreuses que les nôtres, mais l'avantage devrait être gommé par la muraille et les machines.
- Par les quatre vents, la bataille sera terrible ! S'écrie-t-il en portant sa main à son nez ensanglanté.
- Ce n'est pas fini, Zwei Tzaren. Les cavaliers vont bientôt arriver là où je voulais qu'ils soient.
- Mon nom est Dagor Nils, Commodore. Zwei Tzaren sous vos ordres, depuis déjà 2 mois !"
Je n'ai pas entendu sa dernière réplique. Je me baisse, et fais de ma main un pare-soleil, pour mieux voir les cavaliers approcher du bois. Soudain, une volée de flèches s'élève dans les cieux, pour mieux retomber sur l'escouade. En quelques secondes les 45 cavaliers et leurs montures gisent parmi le cimetière dressé de flèches. Je n'en attendais pas plus pour porter mes conclusions à leur terme. Je redescends des créneaux, suivi du regard perplexe de l'officier, et je lui interdis la parole d'un doigt levé, alors qu'il voulait manifestement la prendre. Mon regard le fusille alors que je contiens ma fureur et lui dis, avec une voix lente emplie de sourdes menaces :
"Quelques éclaireurs peu nombreux ? Ce bois abrite sans doute deux cent cinquante archers. Zwei Tzaren, je vous ordonne de ne jamais quitter cette muraille et de ne jamais vous éloigner de la première ligne. Aujourd'hui, vous mourrez soit en héros, soit de mes mains, mais vous mourrez. Et que je ne vous voie pas faire la moindre pause, sinon je viendrai vous régler votre compte moi-même. Cela est-il bien clair ?
L'officier blêmit à ces mots. Il hésite, plein de confusion, regarde autour de lui les visages détournés des Tzaren en poste, mais n'y voit aucun soutien. Il exécute un salut impeccable, et prononce ces simples mots, le timbre de la voix chargé d'une douleur infinie.
- Limpide, Commodore.
Je me détourne du Zwei Tzaren, et lance mes ordres plus bas, rageur :
- détournez ces catapultes vers le nord-est ! Chargez-les de munition incendiaires et faites-moi partir ce bois en fumée ! Il ne nous a que trop nargué !"
J'observe la manoeuvre, remonte sur les créneaux pour mieux voir la progression ennemie. Dans vingt minutes l'assaut commencera. Des machinistes montent sur les remparts et guident l'alignement des catapultes. Rapidement ces dernières sont réglées. Les munitions sont enflammées, et je donne l'ordre de déclencher le tir. A mon geste le bruit est assourdissant. Des craquements de bois font crépiter l'espace, et des sifflements stridents accompagnent les météores ignés qui s'élèvent par-dessus ma tête en direction du bois, laissant dans leur sillage une traînée de fumée âcre et opaque. Je vois leur trajectoire converger vers la surface boisée, et subitement une couverture de feu se répand entre les arbres, soulevant force fumée. Le feu rejoint en serpentant le sol, et lorsqu'il parvient au sol, une autre salve s'élève dans le ciel. Le sous-bois s’embrase comme de la poudre noire, et déjà l'on peut voir quelques hommes tenter vainement de se sauver... La troisième salve est la dernière, car il ne reste plus qu'enfer et désolation. Des dizaines de cadavres jonchent le sol comme autant de feuilles sacrifiées.
"Cessez le feu ! Réalignez les batteries vers le sud-est !"
Mes ordres se répercutent dans le camp, faisant écho jusqu'aux servants de catapulte. En quelques instants toutes les gueules menacent la troupe qui glapit presque devant nos mur. Des tours d'assaut ont été montées magiquement, sans même ralentir leur progression. L'on entend leurs provocations, leurs insultes... Je vois mes Tzaren nerveux me lancer des regards chargés de peur. Je dois agir… Maintenant.
Toujours juché sur un créneau, je me tourne vers la cour intérieure, lève les bras au ciel, dégaine mon arme, la lève, et exécute un enchantement décuplant la force du son qui va s'échapper de ma bouche. Ce sort, créé pour célébrer les immenses prières sans que le prêtre n’ait à hurler, servira également sur ce champ de bataille. Mon cri couvre les bruits de l'arrivée ennemie, et résonne jusqu'à plusieurs centaines de pas.
"Tzaren ! Pour la Reine Sorcière ! Pour Tawrun ! Jamais ne tombe, jamais n'échoue !"
L'armée Tzaren mugit et répète ces mots. Je me retourne pour voir l'armée ennemie à quelques dizaines de mètres à peine, et constater avec amusement que les flèches qui me sont destinées sont détournées par l'aura venteuse de mon armure. Trois Tzaren gisent à mes pieds, transpercés par les projectiles. Pour dernier mot je choisis de rallier mes hommes à ma bannière. Toujours soumis au sort de décuplement de voix, je hurle. Cette fois, ma voix a dû s'entendre à une lieue.
"Fer et Fureur !"
La clameur qui suit fait trembler la terre, et s'élève vers le ciel comme une imprécation, alors que je lance mes ordres. L'ordre classique, boucliers devant, piquiers derrière, sorciers répartis dans chaque unité fonctionnelle... Les flèches pleuvent déjà sur nous, et je donne l'ordre aux balistes de briser les tours d'assaut. Les branches taillées et empennées filent dans un sifflement transpercer les géants de bois, et dès la première salve quelques espaces se créent dans leurs structures. Des javelines enflammées viennent ensuite fouiller les entrailles des monstres par les trous ainsi créés... L'organisation et la discipline règne dans nos rangs, et l'efficacité de nos coups ébranle visiblement la détermination de nos assaillants. Mais ils se savent plus nombreux, et restent malgré les cris de douleur des guerriers qui étaient stationnés dans les tours, dont deux sur six sont en feu et presque inutilisables.
Je descend des créneaux, pour rejoindre en passant entre les Tzaren survoltés mes gardes du corps de la Griffe Ecarlate, plus bas dans la cour. Ils me servent à regarder mon dos, contre les assassins Tzaren... Ils sont visiblement soulagés de me voir arriver indemne, et se mettent instantanément sous mes ordres. Ceux-là sont les meilleurs, l'élite de mes guerriers. Ils sont comme moi, insensibles et sans pitié. Les peaux de liansens qui ornent leurs armures sont le symbole de leur férocité. Je n'en porte pas moi-même, mais je n'en ai pas besoin. Le liansen qui m'a vu arriver et qui à présent s'assied à mes côtés en me regardant me dispense de ce symbole. Mes guerriers en ont tué beaucoup, mais j'en ai soumis un. Il mourra pour me sauver, car il a une dette de vie envers moi.
La muraille est à présent le théâtre d'un assaut frénétique. Les portes des tours d'assaut tombent, laissant déferler la fureur des guerriers ennemis. La première vague est immédiatement abattue par les arbalétriers, mais la seconde parvient à la ligne de défense, créant un impact meurtrier de chaos sauvage et assourdissant. La ligne tient avec maîtrise, malgré les quelques failles qui percent. Je remonte porter assistance à mes soldats, suivi de mes gardes et précédé du liansen, qui a bien compris son rôle et court semer la terreur dans les rangs ennemis. Je choisis la ligne de défense qui souffre le plus, et une fois sur place je constate la présence d'un guerrier noir faisant des ravages chez les Tzaren. Je me fraie un passage dans le chaos, donnant de-ci de-là quelques coups, tuant à chaque impact. Un guerrier se rue sur moi, hache au-dessus de la tête. Un geste de ma main libre, accompagné d'une incantation, provoque une rafale autour de lui, lui faisant quitter le sol et passer par-dessus la muraille. Le hurlement change de tonalité, et s'interromps brutalement.
Le guerrier noir est tout proche. Il achève un Tzaren, lève son épée au ciel, se retourne et me voit arriver sur lui, mon regard de braise le fusillant. Il se met en garde haute, je fais tourner mon épée sur mon côté sans cesser d'avancer, marchant sur les corps qui gisent. Il se rue vers moi en hurlant, fait prendre à son arme un mouvement d'attaque que je déjoue en faisant un pas de côté et en exécutant une spirale de fer qui achève sa course en le frappant à l'intérieur de la jambe qu'il a avancé, la tranchant à moitié et le mettant à genoux. Son visage est face au mien lorsqu'il accuse le coup. Il me regarde, confus. Je rugis en plongeant mon arme dans sa poitrine, épée tenue des deux mains. Des assaillants m'ont vu achever leur champion, et certains veulent profiter que mon épée soit immobilisée pour m'approcher. Je pose mon pied à côté de la plaie, et tire d'un coup sec. L'inertie du mouvement fait voler l'arme circulairement. Je corrige le mouvement brut pour lui donner une efficacité, et l'accompagne vers une tête, qui est tranchée. Un premier coup vient me frapper au flanc, mais il rebondit contre la feuille de métal magique. Je continue ma ronde, dégaine une dague dans le premier demi-tour, dévie une lame avec, tout en frappant de l'épée. Un autre guerrier s'effondre.
Je fais une pause pour observer la scène, pendant que mes gardes tuent sans pitié ceux qui m'en veulent. La citadelle semble tenir, pour le moment, mais la simple vue des troupes ennemies en attente au-dehors, malgré les projectiles incendiaires des catapultes, me force à douter... La parcelle sur laquelle je suis a bien refoulé l'ennemi, qui semble devoir reculer pour se réorganiser. Malheureusement, les autres souffrent sous le nombre, et même l'une d'entre elles reflue dans la cour intérieure. Je m'y rends, suivi de ma garde...
Les servants des catapultes sont inquiets, au vu de la progression ennemie. Le combat fait rage dans l'escalier, et même quelques guerriers ennemis sautent pour semer le trouble dans nos rangs. La parcelle est presque entièrement sous domination ennemie, et les mitoyennes devront supporter un assaut de flanc. Je me rue au combat, redonnant courage aux Tzaren sévèrement diminués. Je distingue un début de charge ennemie, que je réduis à néant en transformant en boue le sol à leurs pieds, usant à nouveau de l’énergie magique. Ils pataugent encore jusqu'à mi-mollet quand les lanciers et le javeliniers les percent. Je délègue un groupe pour protéger la catapulte la plus proche, mais quand ils y parviennent les servants ont déjà été tués, et l'ennemi est rendu maître de la machine. Subitement le projectile part, avec une trajectoire bien trop basse. La boule de feu vient s'écraser dans un terrible fracas à l'intérieur de la muraille, provoquant des dommages à la structure et répandant sa salive brûlante sur les Tzaren qui défendaient vaillamment. La déroute semble probable pour cette parcelle... Je me charge rageusement des guerriers responsables de ceci, et donne l'ordre de détruire cet engin de malheur.
Alors que j'envisageais de porter assistance à cette dernière parcelle, J'entends les grognements d'attaque du liansen. Je me tourne, et vois un Tzaren, un kriss levé vers moi. Il me heurte et son arme se pare d'une aura noirâtre alors qu'elle transperce mon armure et me mord froidement la chair. Je me laisse tomber au sol, au moment où le liansen se jette sur l'assassin avec un glapissement forcené. Sur le dos, la tête me tourne déjà ... Je distingue le kriss, planté dans mon armure, et son aura magique vibrante. Il se meut tout seul, vers mon coeur. Je pousse un cri de souffrance absolue quand je remarque les gouttes de poison qui coulent le long de la lame ondulée. Je distingue à peine le chaos qui règne autour de moi, et imagine ma garde luttant contre l'assaillant qui reprend courage, à la vision du Commodore au sol, blessé et agonisant. J'entends vaguement le liansen mettre en charpie mon assassin.
Rêve de Bataille II
Par Kalder'Shee le 13/4/2002 Ã 18:47:22 (#1280506)
En passant, je remercie le liansen d'un regard et d'un hochement de tête. Son poil est rougi par le sang, mais il ne porte pas de blessures. Il passe sa langue sur sa gueule, et me suis.
La situation, en haut, est apocalyptique. Je manque de glisser sur une flaque de sang, les corps jonchent le sol, certains agonisent là , mais personne ne se soucie de les achever. Les cris des guerriers ennemis sont ici les plus forts, et il m'appartient à présent de changer cet arrêt. Levant haut mon épée, j'avance vers l'officier ennemi qui supervise l'assaut. Lorsqu'il me voit, il prend peur et recule. Les Tzaren survivants, même blessés, se joignent à moi pour refouler l'ennemi. Les guerriers ennemis se regroupent pour faire front commun. J'en vois qui saisissent des piques laissés au sol.
Quand nous arrivons au contact, quatre piques sont dressées pour me percer. Les Tzaren à coté de moi les dévient, me laissant le passage. Je fais deux pas rapides en avant, abaisse de la main le bouclier qui me fait face, et plonge mon épée derrière. Un cri fait écho à mon coup, et je sens le guerrier s'affaisser. Les Tzaren enfoncent la ligne ennemie, taillant et tranchant comme je le fais. Les réflexes de combat que j'ai travaillé depuis si longtemps sont les seuls à animer mon corps, tellement la fatigue me gagne. J'use de mon épée et de mon poing ganté pour immobiliser, frapper, esquiver, saisir et jeter les corps des assaillants qui défilent devant mes yeux... Je sens des coups me frapper, mais seuls ceux qui touchent les articulations ont un effet, de toutes façons diminué par l'enchantement de l'armure. Quand je me retire du combat, ivre de fatigue et couvert de sang, je remarque que de ma garde, il ne reste que la moitié, soit deux Griffes Ecarlates, dont l'un est touché à la jambe, et boîte. Je recule vers une position sûre, pour avoir une idée de la situation.
La citadelle souffre. Si rien n'est fait, elle tombera aux mains de l'ennemi, et Tawrun sera envahi. J'observe la horde ennemie encore au sol, avec l'espoir d'en discerner l'état-major. Il me faut plusieurs minutes pour y parvenir, au terme desquelles la situation a encore empiré. Je regarde le ciel, implorant l'arrivée du soutien demandé. Je distingue alors une silhouette de rapace... Il est revenu... Il a donc rempli sa mission, ils ne vont pas tarder.
Je jette un regard vers l'ouest, et le Royaume. Au début je ne vois que des points noirs dans le ciel... Puis la vision se confirme, et je distingue des ailes battre. Ils sont trois. Deux sont montés, l'autre non. Ils arrivent rapidement, poussés par un vent magique. Je descend dans la cour les accueillir. Malgré les bruits de bataille environnants, leurs battements d'aile s’entendent à deux cent pas. Engageant leur manoeuvre, les dragons se posent. Bien que mineurs, très jeunes et peu intelligents, leur envergure impressionne. Les cavaliers harnachés descendent de leur selle, font quelques pas dans ma direction, et s'agenouillent comme le veut leur tradition. Ils se relèvent sans un mot, me regardent me mettre en selle. Je leur dis simplement :
"Chevaucheurs, encore une fois le Royaume vous sera débiteur."
Ils ne répondent pas, et se mettent eux aussi en selle. "Quand ce que tu veux dire est moins beau que le silence, préfère le silence"... Telle est leur philosophie. Je signale à ma monture de s'envoler. Un bruissement d'ailes, un mouvement saccadé, et à travers la selle je ressens à nouveau les contractions de leurs muscles puissants. Le décollage effectif produit toujours le même effet de vertige passager, lorsque la conscience perçoit que le contact avec le sol est rompu.
Vu de haut, le siège est rondement mené. La subtilité de l'état major ennemi me force à penser que si nous parvenons à le mettre à bas, la victoire nous appartiendra. A condition de faire vite, car le destin se joue encore. Si nous arrivons trop tard, les manoeuvres déterminantes auront été achevées, et le point de non-retour aura été dépassé, pour notre plus grand malheur.
Hors de portée des flèches ennemies, je dirige les dragons vers ma cible. Elle sera sans doute protégée magiquement, et même, le puissant mage qui leur a permis de parvenir ici aussi vite y est vraisemblablement. Le vent qui tournoie autour de moi s'infiltre sous mon armure... et m'arrache un cri vite interrompu lorsque le tissu vient frapper la plaie qui saigne encore sur ma poitrine. Je préfère garder ma dernière magie pour ce dernier combat, plutôt que pour me soigner.
Des archers refluent vers l'état-major lorsqu'ils s'aperçoivent que nous arrivons. Trop tard, ils seront encore trop loin quand tout sera fini. Les officiers supérieurs sont protégés par à peine vingt guerriers, sans doute d'élite, mais que peuvent-ils faire contre le souffle d'un dragon ? Un premier survol de la zone en rase-mottes réduit de moitié l'effectif des gardes, laissant des corps carbonisés. Le deuxième survol est celui d'atterrissage. Les dragons crachent leur salive sur les survivants, qui se cachent derrière des chariots. Je remarque un homme dont le visage est tatoué presque entièrement. Il incante en gesticulant, et je vois le ciel s'obscurcir au-dessus de moi. Je fais signe à ma monture d'avancer vers lui. Le chemin est vite parcouru, mais alors que nous sommes en approche, un éclair d'une terrible violence vient frapper le dragon. Il se recroqueville, et je me sens projeté en avant. Je me mets en boule, mains sur la tête, heurte le sol violemment et exécute plusieurs roulades.
Je me relève d'un bond, pour voir le mage incanter à nouveau. Je n'ai plus mon épée... Elle est à dix mètres de moi... Je plonge de coté alors qu'une boule de feu file vers ma position et explose à l'endroit où j'étais. Je suis soufflé par l'explosion, mais parviens à me dissimuler derrière un chariot. Les dragons survivants, encore montés, font un ravage parmi les officiers. Seul le général ennemi parvient à s'agripper à l'un d'eux pour assaillir le chevalier.
Je cours derrière le chariot, et, arrivé à son extrémité, je me dirige droit vers le mage. A ce moment un nouveau projectile de feu s'échappe de sa main et siffle vers mon ancien abri, qui explose en milliers de mortelles échardes, déviées par mon armure. J'arrive au contact du sorcier au moment où il termine une nouvelle incantation. Je n'ai le temps que de l'agripper par sa robe avant qu'il ne s'élève de cinq mètres, m'entraînant à sa suite. Il brandit son bâton, et alors que je me hisse sur lui il m'en donne des coups crépitants d'électricité. Ils me blessent à travers mon armure, comme s'ils en faisaient abstraction. J'arrive à portée de son visage, luttant contre la douleur. Je lui décoche un coup de poing à lui décrocher la mâchoire, mais il résiste... Sa peau est dure comme le roc, sûrement l'effet d'un autre sortilège... Je frappe à nouveau, mais toujours rien... Le troisième coup devient plus faible, sous la douleur des décharges qui traversent mon dos. Je laisse pendre ma main, épuisé, prêt à lâcher de l'autre, mais je sens une poignée... Celle du kriss de mon assassin. Je la saisis, arme mon coup, et frappe en criant. La lame traverse la robe, et s'enfonce profondément dans la poitrine du sorcier, qui cesse là l'incantation qu'il avait amorcé. Il fait les yeux ronds, et la chute commence...
L'impact sur le sol est rude. Je tombe sur une jambe, me rue sur le mage, constate que ma lame a eu raison de lui, l'extrait de son corps inerte, et envisage de me relever. Aussitôt je retombe en poussant un cri. Je me suis brisé la jambe... Regardant la scène autour de moi, je constate que les officiers sont morts, que le général ennemi est monté sur un dragon, dont il achève le chevalier. Le troisième dragon est parti sur les archers en approche. J'incante pour la dernière fois, et la douleur qui paralysait ma jambe se dissout dans l'énergie magique. Je me relève, et cours reprendre mon arme. Je garde en vue le général qui s'est rendu maître de la créature, et qui me cherche du regard. J'ai le temps de me dissimuler derrière le cadavre carbonisé du dragon que je chevauchais avant qu'il regarde dans ma direction.
Il tourne à nouveau les yeux, et j'en profite pour foncer vers lui. Arrivant à son niveau, je saute sur le dos de l'animal, parviens à agripper mon nouvel ennemi, provoque sa chute et retombe sur lui de l'autre coté, l'écrasant de tout mon poids. J'exécute une roulade pour me mettre à distance, bondis pour me remettre debout, et reprendre mon souffle... Je me mets en garde basse, et l'observe attentivement... Il commence à me parler, mais je ne comprends pas un traître mot de son langage. Je préfère ne pas répondre et garder toute mon attention braquée sur lui, le temps de récupérer.
Il se met en garde également. Je prend aussitôt l'initiative et tente le coup d'estoc à la poitrine. Il recule. Je continue à avancer et fais tourner mon épée au-dessus de ma tête pour décocher un coup circulaire au bras. Il recule en parant, métal contre métal. J'avance à nouveau, lui crie la devise de Laek'Na'Tyl au visage, garde les deux épées en contact, et lui envoie un coup de poing au visage, qu'il n'esquive pas. Il tombe sur le dos sous le choc, j'arme l'estoc pour le clouer sur place, mais il exécute une habile roulade qui le met hors de portée. Je déterre ma lame dans un mouvement leste et la fais tourner sur le côté.
Il lance l'assaut à son tour, mais je ne recule pas. Je pare son coup porté à la jambe, le laisse venir au corps à corps, et lui balance un terrible coup de coude au visage. Il tressaille sous le choc, et recule. J'en profite pour riposter. Mes coups s'enchaînent, ne lui laissant pas le temps de se remettre du précédent. Il recule, en se tenant le visage d'une main et en parant comme il peut de l'autre. Malgré ce moment de faiblesse aucune passe ne porte. Je dois alors m'arrêter pour souffler. Il recule encore, me lançant des regards assassins. Il sait qu'au corps à corps je suis le plus fort, et il n'essaiera plus d'y venir. Je sais qu'il est bien plus frais que moi, et que le combat doit très vite se finir, faute de quoi je ne donne pas cher de ma peau.
Rapidement, il reprend l'assaut, d'une manière plus modérée, en gardant ses distances. Je pare facilement ses coups, conscient du fait qu'il essaie d'endormir ma vigilance pour porter une botte. Il feinte, je déjoue, il feinte à nouveau, je l'invite à attaquer là où je le veux, il tombe dans le piège mais esquive à la dernière seconde le tranchant de mon épée.
Quand il recule je prend l'initiative, et décide de déployer tout mon art. Je sens mes forces couler le long de ma poitrine, sur mon ventre et même sur mes jambes... C'est maintenant ou jamais. J'entame une série de feintes, le provoque et le mène là où je veux. Il ne sait jamais où porteront mes coups, et manifestement n'essaie même pas de riposter. Les arabesques que ma lame dessine dans l'air glacial fondent toutes dans sa défense de fer, mais je persévère. Il tourne, esquive, fait des pas de côté pour éviter mes assauts. Il me voit faiblir et me fatiguer, attendant que je m'épuise.
Je tourne à présent le dos au champ de bataille, ne sachant pas ce qui s'y passe. Et subitement il plonge derrière le cadavre de mon dragon. Je jette un regard derrière moi, vois trente archers et trente flèches convergeant vers moi dans un sifflement menaçant. Je pose un genou à terre et me protège le visage, crispé. La grêle s'abat sur moi comme l'Ondée Ecarlate sur la terre, mais mon armure agit. Quelques projectiles, qui devaient me toucher, sont déviés autour de moi. Les autres de plantent dans le sol. Le général ennemi se relève, s'aidant du cadavre. Une flèche déviée est plantée dans son torse.
Il pousse un cri, porte la main au bois qui le perce, et alors qu'il tente de l'arracher, je parviens à lui, coup armé. D'un mouvement je lui tranche la main. Il s'effondre sur le cadavre sous l'impact, se redresse pour tendre son autre main vers moi en signe de soumission. Je prends mon épée à deux mains, l'arme au-dessus de ma tête, et la plonge dans sa poitrine, le transperçant et perçant les écailles du dragon sur lequel il reposait. Il s'affaisse, la bouche ouverte laissant s'échapper son dernier soupir et un sang vermillon. Voyant les archers approcher encore, je laisse là mon épée, et cours tant bien que mal vers le seul dragon vivant, bien que blessé de quelques flèches. Je le monte, lui donne l'ordre de voler hors de portée des flèches, et bientôt la Citadelle Arquée me sers de refuge.
J'essaie de descendre dignement, mais les forces me manquent et je m'écroule aux pieds du dragon. Le liansen vient aussitôt à mes côtés et empêche quiconque d'approcher à moins de trois mètres. Il permet à un mage que je lui désigne de venir me guérir, et en quelques secondes je recouvre la force de me hisser sur mes jambes encore fébriles. La douleur envahit mon corps, mais je reste sur le champ de bataille, tant pour superviser que pour motiver mes troupes. Les massacres font encore rage, et certaines parcelles sont prêtes à tomber... J'ordonne à mes derniers gardes personnels d'aller prêter main forte là où le bât blesse. Le liansen assurera seul ma protection...
Quelques minutes plus tard, les troupes ennemies sont au courant que leur général a été tué. Prises de panique, et sûrement à court d'instructions, elles refluent et se déstabilisent. La citadelle nous revient peu à peu, quelques guerriers ennemis se rendent mais sont exécutés immédiatement. En une heure de violents combats, plus aucune présence ennemie n'est plus constatée dans nos murs... Je profite de l'accalmie vraisemblablement définitive pour ordonner au mage de me plonger dans l'inconscience, pour enfin ne plus sentir mon corps hurler de douleur.
Ténèbres...
Ténèbres... Le dormeur semble se calmer, sa respiration redevient régulière et ample... Une nuit de plus, au cours de laquelle le rêve a pris possession de ce corps…
Par Kalder'Shee le 14/4/2002 Ã 19:51:50 (#1285691)
Partie Première
Je suis debout, au beau milieu d'un champ de bataille ravageur, dans une campagne que je n'identifie pas. J'ai bien une épée, mais pas d'armure. Tawrun ? Goldmoon ? Rien ne m'instruit cet enseignement.
Des cris attirent mon attention, mais aucun n'est à mon adresse. Je reste médusé face à ce constat. Tous se battent, se blessent et se tuent, mais aucun ne semble me voir. J'esquive un homme qui brandissait une hache, mais il l'abat sur un autre qui me tournait le dos. Je me déplace, sans tenter la moindre attaque, à travers la plaine jonchée de corps, et ne comprend pas. Je distingue un rocher qui me permettrait, si je me hissais à son sommet, d'observer le panorama.
Le chemin pour y parvenir est court, et bientôt je suis à son pied. La pierre est recouverte de sang sur son premier mètre, m'obligeant à porter toute mon attention sur l'escalade. J'ai presque atteint la partie intacte quand mon pied glisse, et voilà qu'en un instant je suis au sol, genoux à terre.
Un hurlement me glace alors le sang. Je tourne la tête en un instant, et vois un guerrier en armure d'ébène se ruer sur moi. Je ne distingue pas son visage, mais je sens la brûlure de son regard me transpercer. Il tient son épée haute par-dessus sa tête. Je lève le bras pour me protéger... mais mon épée a disparu. Le coup se porte sur moi, et dans un fugace instant je sens l'ultime violence me toucher et m'abattre.
Ma tête heurte durement la pierre, la peau de mon arcade sourcilière explose sous l'impact. Le goût du sang envahit ma bouche, et je sens un liquide recouvrir mon visage... Du bas vers le haut. Je vois le sol, à la place du ciel... mon corps, à l'envers, s'effondrer dans les cieux verts empourprés de mon sang... Il est sans tête... Ma vision se trouble... Où est la douleur ? Je n'en sens pas la moindre once... C'est presque agréable... de mourir...
Je sens le fardeau de la mort, qui reposait comme un corbeau obèse sur mon épaule, s'envoler, et dans son poids libéré je trouve un soulagement infini.
Ma voix intérieure résonne avec un écho puissant... Einhaerjars... Je le suis, à présent... L'esprit du guerrier mort au combat.
Partie Deuxième
Je suis porté par des volutes brumeuses... Et m'en extrais sans difficulté. Elles me sont amicales, comme une nouvelle famille pour un enfant adopté. Mon espace est peuplé de ces êtres à la grâce langoureuse, qui passent devant mon visage en souriant. Je leur réponds de la même manière, joignant à la simple joie d'être parmi elles un profond remerciement de m'avoir enfin permis de ne plus supporter le poids de la mort.
Commençant à ressentir mon corps, je tends les bras, les jambes, comme pour naître à nouveau dans ce monde éthéré. L'air envahit mes poumons, et mon soupir est une bénédiction... Le sol se crée sous moi, et les brumes se dissipent suffisamment pour me laisser percevoir le monde dans lequel j'évolue. Les yeux tournés vers le ciel, je le vois... Il est pourpre, débarrassé de tout nuage. Aucun astre céleste n'orne sa texture parfaite, mais il fait jour. L'horizon n'est qu'une ligne lointaine, simple délimitation droite entre le ciel et la terre, lui-même de couleur brun clair. Là aussi, rien ne vient donner le moindre relief au monde.
J'ai encore les bras écartés, et constate que je suis nu comme un ver. Aucun vent ne refroidit l'air à température parfaite. Je met un pied devant l'autre, et marche. Le moindre de mes gestes me procure un puissant sentiment de vie... Je parcours une distance inestimable, et ne vois aucun changement dans ce monde. Les brumes m'accompagnent encore, tournoyant doucement, les vibrations de leurs rires silencieux me parvenant comme un léger souffle picotant la peau...
Je suis libre... La simple évocation de ce constat emplis mon être de bonheur, et il me prend l'envie de courir... Jusqu'à perdre haleine. Les brumes, surprises, ne me rejoignent qu'après quelques secondes. Elles rient avec moi, jouent avec mon corps en roulant devant mes pieds, comme des vagues s'écartant de mon sillage, en tournant entre mes jambes. Lorsque je cesse, je n'ai de forces que pour m'effondrer au sol en haletant.
Quelques instants passent, pour lesquels ma seule occupation consiste à reprendre mon souffle. Enfin, je me relève... Les brumes se sont à nouveau regroupées autour de moi, jouant et riant... Leurs mouvements sont pourtant plus chaotiques, moins gracieux... Ou cela n'est-il que l'habitude de les voir qui se ressent ? Je préfère ne pas m'en soucier.
La marche reprend... Et je sens un léger souffle refroidir ma peau à nu, à tel point que rapidement j'en ai la chair de poule... Je ne vois désormais plus l'horizon, tellement les brumes se sont concentrées. Bientôt ma vision s'arrête à quelques mètres à peine... Je ne rie plus, et mon sourire, depuis quelque temps, s'est changé en rictus... Tout comme ceux qui m'entourent...
Je perçois un obscurcissement soudain, en face de moi. Il est circulaire, mais trouble, derrière la brume. J'avance avec précaution, mais je pousse un cri de surprise lorsqu'il avance brutalement vers moi. Une vision d'horreur m’apparaît alors, glace mon sang, et je sens à peine le sol alors que je chute en arrière. Un visage squelettique immense, coiffé d'un heaume noir que je ne peux que reconnaître, étant celui que j'ai laissé sur Tawrun, s'extrait du nuage opaque qui fait ma prison. Il siffle des mots avec une voix d'outre-tombe... Ma voix...
"TU... ES... MORT... ET... TU... M'APPARTIENS..."
Je me bouche d'un geste les oreilles pour ne pas entendre mon vrai nom. Alors, des bras décharnés, d'où pendent des lambeaux d'un costume que je reconnais également, surgissent de son corps, et viennent planter leurs griffes dans mon abdomen. Je hurle de souffrance, mais le vent qui rugit alors couvre ma voix. Les griffes s'enfoncent encore dans ma chair, se recouvrent de mon sang, et je me recroqueville... Mes contractions amplifient la douleur d'une manière incontrôlable, et je reste là , mains sur les oreilles, plié en deux sur le sol, ces griffes cruelles fouillant mes entrailles, bouche ouverte, mais muette.
Une première griffe arrache un lambeau de tissu et le jette au loin. Dans un réflexe malheureux je m'allonge sur le dos, et apprend un nouvel espace de souffrance jusque là inconnu lorsque la peau et les muscles de mon ventre se fendent dans un bruit écoeurant de tissu qu'on déchire. La créature y plonge à nouveau ses mains, pour en extraire une substance brune dégoulinante de sang noirci. En arrachant quelques fibres jusque là fixées, elle porte son butin à ses lèvres, en lèche la surface, et le rejette sur le côté.
Il ne reste de moi que souffrance... Je sens les griffes se poser sur mon torse, le caresser un instant, puis le percer, s'infiltrer entre mes côtes, et alors que j'entends le craquement sinistre de mes os, les ténèbres m'aspirent...
Partie Troisième
Je suis sur le dos. Le plafond est superbement décoré, et il me rappelle quelque chose. Le souvenir me revient d'un coup : il s'agit de mon palais. Mes membres refusent de bouger, aussi je suis cloué sur le dallage froid de ma salle de réception. Ma tête également semble paralysée...
Un mouvement, sur la gauche de mon champ de vision, m'intrigue. Il s'agit d'un homme, vêtu de noir et de rouge. Je crois entendre faiblement sa voix, mais l'engourdissement qui m'envahit m'empêche de comprendre ce qu'il prononce. J'entends une porte s'ouvrir en claquant contre les murs, puis un cri féminin. J'aimerais pouvoir tourner la tête pour voir de qui il s'agissait, mais rien ne se produit. En fait, j'ai un même un peu de mal à respirer. Plusieurs pas convergent vers moi, mais un rugissement de l'homme à ma gauche arrête leurs progressions. Dommage, ils auraient pu m'aider à ma relever... J'ai froid, sur ces dalles.
L'homme s'est retourné. Malheureusement, mon champ de vision déforme son visage, et je ne le reconnais toujours pas. Il gesticule vers les gens qui s'approchaient, leur signifiant de partir. Mais je ne les entend pas exécuter cet ordre. Je perçois même quelques sanglots, et des genoux heurter le sol. Je voudrais me relever, et voir ce qui se passe... Mais je ne bouge pas d'un pouce. Même, je sens quelque chose coller mes cheveux au sol. Cela a l'air liquide, et me fais parvenir plus intensément la froidure du sol.
Je réussis à fermer les yeux, après une concentration extrême. Il me faudra sans doute la même pour les réouvrir, aussi je ne perd pas de temps et commence dès à présent. Je perçois les pas de l'homme sur ma gauche. Il faut absolument que j'arrive à ouvrir ces yeux, pour savoir de qui il s'agit ! Je décuple mon effort, mais constate qu'il me faudra attendre pour parvenir à mes fins.
Il arrive à mon chevet, et se laisse chuter sur les genoux. L'effort que je déploie éveille en moi une immense fatigue. Le souffle déjà court, je l’entends parler. Sa voix me rappelle une personne, mais je ne me soucie que d'ouvrir mes paupières pour la reconnaître. La panique me gagne alors que je ne vois pas de récompense à mes efforts. Mon souffle se raccourcit encore, vient par saccades, et rapidement mes inspirations deviennent tellement légères, que je n'en perçois presque plus les effets.
Je ne suis plus que halètements. Je déglutis difficilement, m'étrangle à moitié, rendant mes respirations chaotiques et inefficaces. Une goutte heurte ma joue, me rendant un semblant d'énergie. J'ouvre les yeux péniblement, mais le choc me les fait ouvrir en grand.
Un visage. Mon visage. Il - je ? - pleure, mais contient ses sanglots, pour que personne autour de nous ne s'en aperçoive. Je lui - me ? - lance un regard désespéré. Je comprends qui je suis. J'ouvre la bouche pour lui - me ? - parler, le supplier, lui susurrer que... Mais n'ai que la force d'expirer mon dernier souffle, et me laisser accompagner dans les ténèbres...
Partie Quatrième
Je suis éveillé par un cri soudain. En un instant je suis redressé sur mon lit, prêt à en découdre. J'observe la chambre, ses moindres recoins, en un regard panoramique. Personne. Pas un bruit, à part ma respiration haletante. Je sens la sueur refroidir dans mon dos, et me rends compte que je suis moi-même sûrement l'odieux intrus qui m'a réveillé. Je croise les bras sur mes genoux pliés, pour y enfouir mon visage et gémir... Quel cauchemar... Ma gorge me fait souffrir tant elle est sèche, et je me décide à aller jusqu'aux cuisines pour y puiser de l'eau. Je m'y ferai aussi une légère toilette...
Je me lève, saisis une pièce de tissu, me l'enroule autour de la taille en guise de vêtement, passe la porte de ma chambre, et parcours les couloirs du manoir.
Les fenêtres filtrent la lumière blanche de la nuit, qui vient frapper le mur et le sol... Quelques particules au vol chaotique forment une brume fine, perturbée par mon passage... Je les imagine tourner autour de moi, menaçantes, et, au début inconsciemment, puis volontairement, j'accélère mes pas à leur contact. Je descends les escaliers, et à nouveau un couloir hostile s'offre à moi. Je ferme les yeux pour commencer ma progression.
Un vent vient rapidement me frapper au visage. J'ouvre les yeux, certain qu'une entité me fait obstacle. Je vois, debout face à moi, un guerrier en armure complète. Son heaume fermé m'empêche de voir de qui il s'agit. Je recule alors qu'il lève son épée et approche. Le couloir m'empêche d'esquiver son coup de taille, qui vient me frapper sur le torse. Je tombe sur un genou, et le vois armer un coup d'estoc. Je ne peux rien faire... Même pas me relever. Je vois derrière la visière de son heaume... Il n'a pas de visage, pas de tête. La lame me perce le flanc, et je pousse un cri fugace avant de me noyer dans les ténèbres.
Partie Cinquième
Mon cri me réveille en sursaut. Je me redresse, prenant appui sur les mains, bras tendus et genoux à demi-pliés. Une sueur froide colle le drap sur ma peau, et rapidement je pousse un soupir qui met un terme à l'apnée qui me saisissait depuis mon réveil. La tête me tourne, aussi je m'assied, pose les bras sur mes genoux, pour y enfouir mon visage... Et gémir... L'écho du cauchemar me surprend par sa force. Je me lève précipitamment, pris du désir de me prouver que ma volonté est plus forte que les réminiscences d'un rêve bel et bien achevé. L'effort me fait tourner atrocement la tête, mais je résiste à la pesanteur aussi fort que je le puis.
Un instant plus tard, la conscience me revient. Je suis encore debout, la main posée sur un meuble à proximité du lit. Mes jambes tremblent encore de cette absence passagère, mais elles sont suffisamment fortes pour me porter. Je saisis un pièce de tissu, sans doute une longue tunique, pour m'en revêtir les hanches. Ainsi paré, je pars en quête d'eau fraîche.
Le couloir est envahi par une nuit lumineuse, dont les assauts à travers les fenêtres se concrétisent en des flaques régulières de lumière blafarde. J'avance dans ce décor en damier, passant d'une zone éclairée à la suivante dominée par l'ombre... Malgré mon assurance, je suis troublé par cette aura céleste, dont le rôle dans mon rêve était de faire venir à moi les brumes hostiles, et mon assassin. Je sens mon coeur s'accélérer à chaque étape lumineuse de mon voyage. Je descends les escaliers...
Pour me prouver une bonne fois pour toutes que les rêves ne se produisent jamais dans la réalité, je ferme les yeux une fois arrivé en bas. L'escalier se poursuit par un couloir... Je le suis sur quelques mètres, et, à l'endroit où, dans mon rêve, je voyais mon assassin, je m'arrête et regarde.
Mon coeur s'arrête de battre lorsque je le vois, vêtu de la même armure complète, me faire face. La visière de son heaume est baissée, aussi je ne distingue rien... Mais, je suis certain que cette armure est vide. J'imagine des méthodes pour esquiver le coup qu'il vient d'armer en usant des mêmes mouvements. Je n'ai pas le temps d'en exécuter la moindre avant que l'épée, à nouveau, ne vienne balafrer mon torse offert. Je tombe sur le même genou, désespéré. L'espoir a quitté mon regard lorsque je le plonge dans le heaume vide... Et que je sens le métal mordre ma chair au flanc. Son fil glisse en moi, produisant un son feutré de déchirement, et je sens la blessure s'ouvrir encore et encore, transformant mon être en plaie béante vouée à la douleur éternelle.
Enfin, je tombe sur le côté, et me laisse sombrer, gémissant de souffrance, dans les affres ténébreuses qui s'offrent à moi...
Partie Sixième
J'ouvre les yeux d'un coup. Je vois un plafond inconnu plongé dans le noir d'encre d'une chambre dont les volets sont clos... Où suis-je ? Quel est cet endroit ?
Une bulle de conscience éclate soudain, et je me souviens que je me suis endormi dans la chambre du manoir de la Reine Sorcière, ma demeure depuis... je ne sais plus trop depuis combien de temps. J'envisage de m'asseoir, mais une douleur rugit dans ma tête, provenant de mon flanc. Je reste paralysé, le dos plaqué contre le lit, le visage crispé... je ressens le froid de la sueur humide... Une sueur suspecte car trop importante... Je jette un oeil sur mes draps, et les vois rougis de sang.
Je gémis... La blessure s'est réouverte. Elle est fraîche d'hier, et provient du coup de grâce qu’on m'a infligé... Cet estoc restera gravé, comme cette blessure restera ouverte. Elle sera toujours là pour me prouver que je suis déjà mort.
Les bandages n'ont pas tenu... Et j'ai perdu beaucoup de sang. Je ne puis qu'espérer qu'appuyer sur la plaie suffira à la refermer... Car la force me manque pour me lever et refaire le pansement... Le geste m'arrache un râle pitoyable...
Je reste conscient quelques minutes, haletant, puis je sombre finalement dans les ténèbres accueillantes, en espérant vaguement ne jamais plus m'éveiller...
Partie Septième
(réponse envoyée par Reine Sorcière)
Gestes rapides, milles fois répétés.
Là , devant le miroir, découper les entrailles offertes et incanter les mots aussi vieux que le royaume.
Ajouter les poudres odorantes.
Se concentrer.
Commander aux volutes qui s'élèvent.
Ecouter enfin ce que je veux entendre : les réponses à mes questions...
...
Qu'est-ce que ???
Les volutes, contre toute attente, se rebellent et ne répondent pas à mon commandement...
Quelque chose... quelque chose se passe...
Geste vif, mot de pouvoir, les volutes se dispersent plus vite qu'elles ne sont nées.
Je sors de mon laboratoire et là , dans ma chambre emplie de pénombre, j'écoute...
Je laisse mon esprit être aux aguets.
Il émane du manoir même une force comme magique. Mais elle n'est pas de mon fait.
J'attrape en passant près du lit vide, un léger voile dont je me recouvre avant de sortir dans le couloir.
Il est silencieux et sombre et froid.
Quelques gardes se redressent à ma vue.
Je passe devant eux et sens des picotements le long de mon échine alors que je leur laisse mon dos... comme offert.
Je peste contre ce sentiment. Mais, alors que je descends d'un étage l'escalier, je n'ai toujours pas réussi à supprimer l'impression d'être observée...
Mon pied nu sur la première marche pour descendre au rez-de-chaussée.
J'hésite.
Un râle étouffé se fait entendre des appartements du commodore.
J'avance lentement. Un instinct primitif me fait hésiter alors que je pose ma main sur le bois glacé de la poignée de la chambre.
J'inspire.
J'entre...
Odeur de sang et de sueur et plus que tout, cette odeur si particulière qui émane de ceux qui désespèrent...
Le Commodore est étendu sur son lit taché.
Les yeux plissé dans un sommeil qui ne lui est pas doux. Il tremble de fièvre et une main se presse sans force sur sa blessure au flanc.
Je m'approche presque irréellement de lui.
Je suis vide de pensées, comme si je venais de rentrer dans un rêve.
Jamais je n'avais vu le commodore, jamais je n'avais vu cet... homme... si fragile...
Par Kalder'Shee le 15/4/2002 Ã 21:18:56 (#1291372)
Ou comment servir avec le plus grand zèle une personne condamnée d'avance, quand bien même le nombre de ses serviteurs passerait de cent à dix, de dix à un.
Malédiction
Par Kalder'Shee le 16/4/2002 Ã 15:07:39 (#1294844)
Ambassade
Une naissance
Par Kalder'Shee le 16/4/2002 Ã 15:26:17 (#1294916)
Le cri impératif se répercuta une demi-douzaine de fois avant qu’une femme ne vînt, les bras chargés d’un drap blanc et d’une bassine fumante. Elle se fraya un passage entre les spadassins en armure qui encombraient le couloir pour enfin parvenir, après avoir franchi une lourde porte d’ébène, à une chambre luxueuse au centre de laquelle trônait un lit somptueux à baldaquins noir de jais finement sculptés. L’on entendait, de derrière les tentures, des gémissements et de puissants soupirs. La jeune porteuse, en les écartant, fut saisie par le spectacle de sa Baronne, souffrant et soufflant, le visage rougi par un effort quasi draconique, dont elle ignorait jusqu’à présent qu’elle en fût capable.
Elle crut un instant avoir, dans sa sidération, lâché son fardeau, mais elle se rendit vite compte que la sage-femme l’en avait dépossédé, et s’en servait déjà pour distiller son art auprès de sa maîtresse.
"Ferme cette porte, et reviens m’assister !" ordonna la sage-femme, de la même voix, calme et qui pourtant forçait l'obéissance.
La jeune servante cligna des yeux, semblant reprendre ses esprits, et s’avança vers la porte béante, d’où des soldats médusés aux couleurs de Laek’Na’Tyl observaient la scène.
Un grondement sourd, suivi d’un crissement métallique lointain fit tourner quelques têtes, et provoqua l’inquiétude de quelques hommes d’armes, qui s’en furent. La jeune femme prit la porte, et la ferma doucement. Elle avait presque achevé sa tâche quand un gantelet métallique apparut dans l'entrebâillement, et vint arrêter sa progression. La porte se rouvrit, en grand, poussé par un homme de puissante stature, revêtu d’une rutilante armure ciselée et articulée. Son visage farouche, malgré le camail annelé qui le recouvrait à moitié, exprimait une colère contenue. Il s’avança dans la salle, sans même jeter un regard sur celle qui lui avait fermé la porte au nez, et vint s’asseoir au chevet de la femme qui reposait sur la couche. Sa voix sombre emplit toute la salle, et pourtant il était évident que ces mots ne s'adressaient qu'à la femme accouchant.
"N'aurais-tu pu attendre encore ? L'ennemi est à nos portes, et tu nous interdis toute retraite."
Il n'eut pour réponse que des soufflements rauques, et un regard dardant qui aurait percé n'importe quel humain normal. Mais le Baron Kurgen de Laek'Na'Tyl était d'une autre trempe... Il n'en tint même pas compte.
"Je vais devoir à nouveau composer sans avoir d'autres solutions que le triomphe ou la mort. Kcehtra nous vienne en aide, nous aurons besoin de lui..."
Il se leva brusquement, et sans même un regard de compassion envers sa femme luttant, il tourna les talons et s'en fut dans un cliquetis d'armure huilée. La porte claqua, le silence sembla revenir un instant, puis fut rompu par un gémissement crispé. Le travail continuait...
La servante revint au chevet de sa Baronne, et aida tant que possible. Au-dehors, la nuit arrivait à son terme, dans moins d'une heure il faudrait compter avec la lumière de ce soleil rougeoyant et agonisant. Et cet enfant qui ne voulait pas venir... La clameur qui s'éleva en un crescendo sans limite sonna comme un prélude à la bataille imminente. La jeune femme courut vers la fenêtre, pour contempler la scène du drame qui s'annonçait.
Dans l'enceinte, une colonie fourmillante de soldats à la livrée bleue, couleur de Laek'Na'Tyl, s'organisait aux cris des officiers. Des rangées d'archers s'alignaient sur les créneaux, arc en main, flèche encochée. Toute cette vie semblait réglée comme un orchestre, dont le chef n'était autre que le puissant Baron, gesticulant et vociférant, dispensant ses ordres comme des imprécations au milieu de la foule vigilante de ceux qui allaient mourir. Les officiers, prenant le relais des ordres, mettaient en place leurs escouades selon la stratégie choisie, avec un calme et une résignation qui forçait le respect, au vu de ce qu'ils allaient devoir combattre...
Au-dehors, des rangs serrés de guerriers en arme menaçaient l'horizon, toutes piques dehors et étendards dressés. Des estafettes montées sur des créatures bondissantes à deux pattes faisaient la liaison entre les unités, preuve ultime de l'organisation de l'armée qui allait s'abattre sur la forteresse. Des instruments à vent et de puissants tambours, installés sur d'immenses chariots, réglaient la marche funèbre de la défaite imminente des troupes de Laek'Na'Tyl, le doute n'était plus permis. Un ordre bref fusa, le sifflement acéré des flèches creva l'espace, et un nuage de dards mortels partit s'abattre sur les troupes au-dehors. Le jeu de la mort avait commencé, le métal de Laek'Na'Tyl venait de faire à nouveau connaissance avec la chair.
"Ferme cette fenêtre, servante ! Par Kcehtra, Le soleil va se lever !" Vociféra par-dessus le brouhaha la sage-femme, toujours à l'oeuvre. Avec un pincement au coeur, la jeune femme ferma les volets, puis tira les rideaux. Ne restait plus comme lumière que celle des bougies éparses. Elle s'approcha, et fit tout son possible pour aider, même si cela se résumait finalement à saisir la main de sa Baronne et la bercer de paroles rassurantes, sans tenir compte ni de la sueur perlant sur le front de la sage-femme, ni du sang qui maculait et les mains et les linges...
A quelques reprises, la jeune femme sursauta. Claquements menaçants de flèches de plantant dans quelque pièce de bois proche, projectile venant s'abattre sur la tour, résonance étrange des instruments de guerre qui ne cessaient de vomir leur cacophonie bancale... Et soupir de douleur de sa maîtresse, dont l'état ne cessait d'empirer malgré les manipulations expertes de celle qui savait mettre au monde, seule isolée parmi ceux qui ne savent que tuer. Elle avait à présent ses avant-bras couverts d'écarlate, et sa robe était maculée. Le linge n'avait plus rien de propre, et malgré tout l'enfant n'était pas né.
La sage-femme lança soudain un regard dur à sa jeune assistante. On y lisait la colère, la détermination, la résignation...
Elle ouvrit sa besace, et en sortit un fin couteau, dont la lame venait d'être affûtée, au vu des rayures scintillantes que la meule y avait laissé. La poitrine de la servante se serra, avec la même force que la main de la Baronne. Un moment flotta, entre deux battements de coeur, et un message intuitif passa entre les trois femmes présentes. Elles se remirent alors ensemble au travail, avec la même détermination. Seules quelques larmes écrasées vinrent altérer leurs sentiments.
La lame n'avait pas encore fait son office qu'un rugissement éclata juste derrière la porte d'ébène. Un choc métallique suivit, ainsi qu'un hurlement de victoire. Puis, la porte céda, et Kurgen, son armure recouverte d'un liquide vermillon, entra toutes armes dehors. Deux cadavres fumants gisaient au sol, juste aux pieds de la porte, et dans le couloir la bataille faisait déjà rage. Tel un assassin surpris en action, la sage-femme munie de son couteau toisa l'homme qui venait perturber son travail. Une expression farouche marquait chaque visage, et les deux opposés, donneuse de vie et meurtrier, réunis dans le sang qui les maculaient, purent presque palper la haine mutuelle qu'ils se vouaient, sans pour autant pouvoir la laisser éclater, puisque la survie de l'un dépendait de celle de l'autre.
Kurgen s'avança pesamment vers le lit, en produisant le grincement disharmonieux d'une armure percluse de chocs. Derrière lui, ses gardes personnels ferraillaient, et semblaient pour le moment pouvoir contenir tout assaut. Le Baron écarta d'un geste la jeune assistante, tomba à genoux à sa place, et regarda sa femme, son visage livide et défait de douleur, ses yeux à moitié clos, sa bouche entrouverte. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, et la mort l'emportait. Sa voix fut dure et sévère, pleine de résignation.
"Fais ton office, femme ! Cet enfant est le plus important, pour Laek'Na'Tyl, et pour la Reine Sorcière ! Kcehtra, Vois ce que tu fais de tes serviteurs... Tu joues avec, tu leur dispenses douleur, chaos, trépas, et tu ries devant leur ferveur à te défendre !"
D'un bond il fut debout, et il se mût jusqu'à la fenêtre. La sage-femme ne perdit pas plus de temps, et commença une incision franche. L'homme arracha le rideau, et asséna un terrible coup de poing dans le volet, qui céda dans un craquement sonore et s'envola au-dehors. Puis ce ne furent que hurlements rageurs.
"Kcehtra ! Regardes-nous ! Observe la douleur de tes serviteurs ! Si je dois mourir, alors ce sera en regardant le disque de ton soleil agonisant ! Prend ma femme, mon enfant, et moi-même ! Ravage mon domaine, car tout ici t'appartient. Et bientôt il en sera de même pour la Reine et son Palais, puis pour ton Royaume sur cette Terre !"
Le ciel le toisait en retour, empli de l'huile rougeâtre du soleil naissant.
La sage-femme extraya l'enfant dans un déchirement sinistre. Il n'eut pas plus la force de pousser son premier cri, que la Baronne de crier son dernier soupir. Puis la lumière pourpre envahit la scène. Le disque rougeoyant commença à apparaître, diffusant son aura de terrible présage. Les clameurs de bataille semblèrent étouffées, intimidées par l'énergie qui se déployait, et le Baron dut se couvrir les yeux de sa main pour ne pas être ébloui. Il s'écarta vivement de la fenêtre, et vit la sage-femme tenter d'animer l'enfant, auréolée du halo de l'influence de Kcehtra.
Il vit l'instant comme ralenti, une femme s'escrimant à donner vie à un être fragile, dont le présent était déjà si compromis, et l'avenir si terrifiant. Il songea un instant que tout n'était que peine perdue, qu'une seule vie apparaissait à l'instant même où des centaines d'autres périssaient, à des lieues à la ronde. Peut-être était-il finalement bénéfique que l'enfant meure, et que la lignée disparaisse avec lui. Les efforts de la sage-femme semblèrent vides de sens, même néfastes...
Et enfin une vision se forma, derrière cette scène... La Reine Sorcière, sa lignée millénaire, son pouvoir infini, son allégeance éternelle à Kcehtra, Dieu dont la seule mention suffisait à faire trembler les armées. Et la mémoire de ce royaume, qui recelait la vérité, était toute entière en ce château, dissimulée par la pierre et l'oubli. L'espoir naquit à nouveau.
Enfin, la minuscule poitrine se souleva dans un spasme, et ses yeux s'ouvrirent en grand. Les rayons pourpres du petit matin s'y ruèrent alors, prenant possession des globes innocents, et les marquant à jamais de leur couleur.
L'on entendit, comme autant de rafales sifflantes et résonnantes, quelques mots...
"Je prends, je donne.
Cet enfant n'était déjà pas le tien.
Il sera le mien.
Le Fils de l'Ecarlate,
Pour la Gloire
De la Reine Sorcière !"
Les derniers mots furent si distincts, et prononcés avec tant de force, dans une rafale si puissante, qu'ils résonnèrent dans les esprits de tous. Un tourbillon se forma autour du Baron, et se déplaça vers la fenêtre, emportant les débris de bois avec lui. Une fois sorti, il engloba la tour dans son cercle, et prit une ampleur terrifiante. Il se déplaça alors au-dehors de la forteresse, et ravagea l'assaillant de sa fureur venteuse. Le Baron resta à la fenêtre un instant, encore interdit, puis, avec une vigueur renouvelée, il se tourna vers sa garde personnelle toujours ferraillante, qu'il harangua.
"Kcehtra est avec nous, nous ne risquons plus rien ! La mort en sa présence est le plus grand présent qu'on puisse lui faire ! Pour Laek'Na'Tyl ! Pour les Reines ! Fer et Fureur !"
Le cri fut repris, si fort que le seul son qui pût le couvrir fut le fracas de métal du Baron se ruant dans la mêlée, avec la grâce de Kcehtra.
Au-dehors, par la fenêtre béante, les bruits de batailles se firent plus rageurs, puis finalement ils furent remplacés par des cris de victoire, ponctués en choeur par la devise de la Baronnie. L'ennemi fut ainsi défait, dérouté, et même pourchassé jusqu'aux frontières, le soir venu.
La sage-femme, imperturbable, fit comme à son habitude. Elle lava, linga avec soin l'enfant, celui qui allait devenir Baron de Laek'Na'Tyl quand l'heure serait venue. La coutume, qui voulait que les enfants aux yeux pourpres soient tués, épargnerait l'unique héritier de ces terres, malgré le présage que cela annonçait.
Elle savait que les temps futurs seraient difficiles. Elle ne se doutait pas qu'ils le seraient autant.
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