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[étude interessante-Manière d'écrire] La Taverne dans les Fabliaux.

Par Horvath le 4/10/2001 à 18:35:00 (#228890)

I - LES ACTEURS DE LA TAVERNE

1) Le personnel
- Le crieur
- Le tavernier
2) Les clients
- Les pauvres
- Les fripouilles
- Les clients aux murs légères

II - LE VIN ET LIVRESSE A LA TAVERNE

1) Les vins évoqués dans les fabliaux
- Les vins du nord
- Les vins dOrléans et dAuxerre
- Les vins du sud
- Les vins nouveaux
2) Beuverie de taverne et débauche de bordel : deux thèmes littéraires complètement différents
3) La déchéance humaine

III SIGNIFICATION DU VIN ET DE LA TAVERNE

1) Le vin, boisson du diable
2) La taverne, l" anti-église "

Bibliographie.











LA TAVERNE DANS LES FABLIAUX



La taverne est loin dêtre lun des thèmes les plus récurrents des fabliaux. Au contraire, on ne dénombre que six textes sur les cent soixante de lédition Raynaud et Montaiglon évoquant une scène de taverne, laquelle ne se résume dailleurs parfois quà quelques vers. Rien à voir, donc, avec le théâtre arrageois du XIIIe siècle, où la majeure partie des pièces, comme le Jeu de Saint Nicolas, le Jeu de la Feuillée ou Courtois dArras se déroule dans ce lieu. Toutefois, le thème est traité de la même manière par les deux genres, avec les mêmes caractéristiques et les mêmes figures, bien quévidemment plus développé et plus chargé en signification dans le théâtre, étant donnée la différence de proportion des scènes. On sappuiera dailleurs souvent sur le théâtre, qui sera notre élément de comparaison. Il ne se passe jamais rien de bon dans ce lieu toujours perçu de manière négative et sévère. On commencera donc par étudier les acteurs de cette taverne, à savoir le personnel, constitué par le crieur et le tavernier, et les clients. Une seconde partie traitera du vin et de livresse dans la taverne. Dans un premier temps, une présentation sera faite des différents vins évoqués dans certains fabliaux traitant de la taverne ou simplement du vin. On précisera ensuite comment, curieusement, dans les fabliaux, le thème de la débauche et du " bordel " se distingue complètement de celui de la beuverie de taverne. Pour terminer, il restera à montrer comment ces scènes de taverne nen sont pas moins des exemples de déchéance humaine. Enfin, la signification du vin et de la taverne, lun vu comme une boisson du diable, lautre comme l" anti-église ", achèvera notre étude.



I LES ACTEURS DE LA TAVERNE

Dans les fabliaux, comme dans le théâtre, la taverne est donc peuplée de personnages bien caractéristiques, répartis en deux catégories : ceux qui sont lorganisation-même de la taverne, cest-à-dire le personnel, et ceux qui y viennent consommer, les clients.

1) Le personnel

Quen est-il, tout dabord, du personnel de la taverne des fabliaux ?

- Le crieur

Les crieurs, pour commencer, font partie du paysage traditionnel de la taverne et sont les premières personnes que lon rencontre aux abords de celle-ci. Ils sont chargés de vanter la qualité des services et surtout du vin de la taverne où ils sont employés, et dallécher de cette manière le plus de monde possible, pour accroître le nombre des clients. Ainsi, le crieur a toute son importance, puisque cest lui lélément déclancheur des scènes de taverne, incitant les personnages à venir goûter le bon vin ou prendre du bon temps. Dans Les Trois Aveugles de Compiègne, ce sont les " slogans " du crieur à travers la rue qui font que les trois malheureux, désireux de passer un agréable moment, sont comme happés par la taverne :

· Dedenz la vile entrerent ;
Si oïrent et escouterent
Con crioit parmi le chastel :
" Ci a bon vin fres et novel,
Ça dAuçoire, ça de Soissons,
Pain et char, et vin et poissons ;
Céens fet bon despendre argent ;
Ostel i a a toute gent ;
Céens fet moult bon hebregier " (vv. 70-78).

Dans le théâtre, on a donc le même principe délément déclancheur, avec, par exemple, Courtois dArras, lorsque Courtois se laisse séduire par les propos du garçon qui fait office de crieur, vantant son vin de Soissons, ainsi que les facilités de crédit accordées aux clients, pour intéresser même les clients peu fortunés quil sera toujours temps de dépouiller de leurs vêtements sils ne peuvent pas payer leur dû (vv. 103-113). Dans Les Trois Dames de Paris, curieusement, cest une femme de lextérieur, Dame Tiphaine, qui fait office de crieur. En vieille habituée des lieux et de la boisson quelle semble être, elle donne son avis dexperte en des termes gustatifs précis :

" Je sais vin de riviere
Si bon quainz tiex ne fu plantez ;
Qui en boit, cest droite santez,
Car cest uns vins clers fremians,
Fors, fins, frès, sus langue frians,
Douz et plaisanz à lavaler " (vv. 30-35),
sans oublier largument du crédit facile évoqué juste après. Ici, pas besoin de garçon pour la publicité, la fidèle cliente prend le relais. Dans les trois fabliaux DEstormi, Le Segretain ou le moine et Le Segretain moine, qui sont trois variantes dune même intrigue (celle du cadavre encombrant), il ny a pas de crieur. Cest que les personnages sont déjà dans la taverne, point nest besoin de les y entraîner, dautant plus que les scènes de taverne de ces fabliaux sont très brèves, cette dernière nayant que la fonction dun simple décor. Enfin, seule La Plantez fait arriver un personnage dans une taverne sans le motif traditionnel du crieur (v. 2). Lauteur rentre damblée dans le vif du sujet. Sans doute est-ce parce que le jeune homme ne vient à la taverne que pour se payer un malheureux verre (il na quun denier) et parce quil nest absolument pas question de beuverie dans ce fabliau, mais simplement de bagarre entre le jeune homme et le tavernier. Le crieur ny était ainsi pas utile. Le crieur est donc le personnage qui introduit traditionnellement les scènes de taverne dans la littérature du Moyen Âge.

- Le tavernier

Aussi, lacteur principal de la taverne, cest bien-sûr le tavernier. Il est lui aussi une figure traditionnelle. Cest lescroc par excellence, plus malhonnête encore que ses pires clients. Les taverniers servaient dailleurs dexempla aux moralistes du Moyen Âge. En fait, ce qui leur donne mauvaise réputation, cest lavarice et la cupidité, qui en font des voleurs. Dans le théâtre arrageois, les taverniers sont toujours à lorigine de coups montés pour dépouiller un client ou, tout au moins, en sont les grands complices. Dans Courtois dArras, le tavernier sentend avec les deux prostituées pour dévaliser Courtois (vv. 256-257 et 262-263). Dans le Jeu de la Feuillée, dune part il est accusé de couper son vin avec de leau (v. 942) et, dautre part, cest lui qui a lidée de rouler le moine qui sest endormi en mettant toutes les consommations sur son compte (vv. 963-965). Il est toujours temps, pour les taverniers, davoir lair désolés, lorsquils réclament à leurs malheureuses victimes leurs vêtements ou une grosse somme dargent pour payer les consommations des autres. Tout ce qui peut rapporter au tavernier est bon et lorsquil nest pas payé, celui-ci devient rapidement très violent. Dans Les Trois Aveugles de Compiègne, il en vient rapidement aux coups, sans aucune pitié pour les pauvres hommes, sans écouter la moindre explication, seulement préoccupé par le désir aveugle de récupérer ses dix sols :

Lun va donner une grant buffe,
Puis fait aporter .II. lignas (vv. 175-176)
(A lun il donne un grand soufflet et fait apporter deux bâtons).
Comme par hasard, les deux fabliaux où apparaît vraiment le tavernier sont des fabliaux où les choses tournent mal dans la taverne. Tel est donc le cas des Trois Aveugles dont nous venons de parler. Pour le deuxième fabliau, La Plantez, cest un peu différent, car si le jeune homme et le tavernier en viennent aux coups, cest à cause du caractère exécrable de ce dernier qui ne veut pas dédommager son client dont il a renversé le vin (vv. 22-31). Mais, là encore, même si le caractère du tavernier est nettement dénoncé comme lélément déclancheur du conflit par le fabliau (v. 25), il sagit quand même bien dun problème davarice, puisquil ne veut même pas rembourser le jeune homme à qui il doit de toute façon un autre verre. Cependant, il est de rares fois où lavarice et la cupidité laveuglent tellement quil se fait avoir, pour une fois. Dans La Plantez précisément, la bagarre entre les deux hommes prend une telle ampleur quun des tonneaux de vin du tavernier est brisé et que sa cave est complètement inondée (vv. 89-98). De plus, comme si cette énorme perte ne suffisait pas, et comme laffaire est traduite devant le roi Henri de Normandie, ce dernier déclare sa pleine responsabilité dans cette histoire (v. 134). Cest probablement la seule fois où une justice (en fait, celle du jeune homme pour lui-même et celle, officielle, du roi) a raison de cet escroc traditionnel de la littérature médiévale. Mieux encore, dans Les Trois Aveugles de Compiègne, après le thème du trompeur trompé, cest là celui de lescroc escroqué. Le tavernier, pour une fois, est tombé sur plus malhonnête que lui et le fabliau se termine de la manière la plus inattendue qui soit pour le lecteur, avec un tavernier qui se voit sans le moindre recours pour récupérer largent que lui doit le clerc. Celui-ci, en effet, promet de régler ses consommations et celles des trois aveugles, lui dit de récupérer son argent auprès du prêtre dà côté et senfuit après avoir prévenu le prêtre en question quun pauvre tavernier ayant perdu la raison allait venir le voir avec des paroles insensées et quil fallait lui lire lEvangile sur la tête (vv. 189-253), ce qui donne la scène quon imagine. La " pillule " est bien sûr très dure à avaler pour le tavernier qui

Courouciez est et moult honteus
De ce quil fu si atrapez (vv. 329-330).
Enfin, dans certains fabliaux, le tavernier est secondé ou même remplacé par le garçon qui incarne alors le même type de personnage que son patron, tout autant préoccupé par les intérêts de la taverne. Le tavernier apparaît à peine dans Le Segretain ou le moine et dans Le Segretain moine et pas du tout dans DEstormi, mais nous avons déjà précisé que la taverne ny avait quune fonction de décor. Dans Les Trois Aveugles de Compiègne, le garçon suit de près les comptes de la taverne et les consommations. Cest lui qui inquiète son patron quant à la grande consommation des trois infirmes :

Dist li vallés : " En verité,
Li pains, li vins et li pasté
Ont bien cousté plus de .x. saus ;
Tant ont il bien eü entre aus.
Li clers en a .v. sols pour lui (vv. 130-134).
Le garçon est donc vraiment le double du tavernier. Dans Les Trois Dames de Paris, cest lui qui gère la taverne et fait tout le service durant le fabliau. Le tavernier napparaît pas du tout. Il est juste évoqué au début, de réputation, les trois dames sachant quil était nouveau dans la ville. Encore une fois, comme par hasard, il ne semble pas nécessaire que le tavernier intervienne dans ce fabliau où les clientes consomment en abondance et ont de quoi payer. Comme si celui-ci ne devait intervenir que pour créer des problèmes. Ainsi, le pilier central de la taverne quest le tavernier est également lemblème de sa maison, annoçant, par sa figure extrêmement négative, la signification du lieu, dont on parlera plus tard.

Publicité mensongère et avarice, donc : le personnel de taverne est la parfaite incarnation de la malhonnêteté.

2) Les clients

Après avoir passé en revue ce personnel traditionnel de la taverne, il nous faut maintenant parler des clients. Ils sont de toutes sortes. Aussi, cette clientèle offre-t-elle un beau panorama de tout ce quil peut y avoir de plus bas dans une ville en matière de population, ce, à tous les niveaux.

- Les pauvres

Ainsi, la taverne accueille tout dabord les pauvres, les plus humbles, ceux qui sont au plus bas de léchelle sociale. On pensera au jeune homme de La Plantez et aux trois aveugles de Compiègne. Cest que ces gens-là viennent chercher un peu de bon temps, un peu de réconfort, pour se changer de leur rude et misérable existence, en quelque sorte de luxe à leur niveau. Le jeune homme de La Plantez, qui na pas de quoi se payer à manger avec son malheureux denier, décide de soffrir un verre puisquil ne peut se payer que cela :

Se voloit diner par matin ;
Mais not geline ne pocin
Ne a mangier qui gaires vaille,
Fors un sol panet de maaille.
En sa main tenoit un denier ;
Si commanda au tavernier
Que danree de vin li traie (vv. 7-13).
On comprend donc aisément la colère du jeune homme lorsque le tavernier renverse la seule chose quil pouvait soffrir, sans vouloir le dédommager. Dans Les Trois Aveugles de Compiègne, il est surprenant de constater que les trois pauvres hommes, qui croient avoir gagner un besant (ce qui devait représenter une bonne somme), au lieu de sacheter des habits neufs ou autres choses utiles quils ne sont pas en mesure de se payer dhabitude, se précipitent à la taverne pour y faire un fameux festin et dormir douillettement. La taverne reçoit donc les plus basses couches de la société dans la mesure où elle constitue le luxe dont le pauvre a toujours besoin pour oublier un peu sa condition.

- Les fripouilles

Ensuite, parmi les clients de la taverne, on compte les fripouilles, ce que lon aurait envie dappeler la " racaille ". En effet, comme pour le Jeu de saint Nicolas pour le théâtre, on trouve dans Le Segretain et dans Le Segretain moine une taverne hantée par des voleurs. Il sagit de ceux qui ont volé le jambon du vilain, quils ont caché dans le tas de fumier où le bourgeois pense enfouir le cadavre du moine. Le thème des voleurs qui fêtent ou préparent un mauvais coup à la taverne est également caractéristique dans la littérature médiévale. Enfin, en matière de fripouille, il reste le clerc des Trois Aveugles de Compiègne qui bat tous les records de malhonnêteté, puisquil arrive même, comme on la vu, à escroquer le tavernier en abusant un prêtre, tout ceci après avoir joué un tour honteux à trois malheureux aveugles. Le tavernier semble donc attirer dans sa maison des gens du même esprit que lui et ces clients-là contribuent fortement à limage très négative de la taverne dans la littérature médiévale.

- Les clients aux murs légères

Enfin, la taverne se voit surtout peuplée de personnes aux murs légères. Cela concerne Estormi et surtout les trois dames de Paris. Pour ce qui est dEstormi, lorsque le bourgeois suppose que le jeune homme se trouve au bordel, sa nièce lui répond que non, quil est à la taverne (vv. 267-271), ce qui donne un bon aperçu des murs du personnage qui semble être un vieil habitué des deux lieux et occuper sa vie entre beuverie et débauche. Les trois dames de Paris, elles, en se rendant à la taverne, savaient très bien pourquoi elles y allaient. Les deux premières, Margue et Marion, ont dès le début lintention daller a la tripe (vv. 20-21), ce qui leur paraît plus intéressant que le pèlerinage quelles étaient censées effectuer. Dame Tiphaine, comme on la dit, semble être une fameuse experte en matière de vin et na pas gros effort à faire pour entraîner les deux autres. Dailleurs, au cours de lorgie à laquelle elles se livrent, les trois femmes savèrent avoir ce que lon appellerait familièrement " une bonne descente ", comme si elles étaient bien entraînées, et consomment nombre de hanaps de vin avant de commencer à être vraiment ivres (vv. 138-145). Avec ce genre de personnages, on a là de véritables piliers de taverne qui font de cet endroit le lieu de la déchéance humaine, comme on le verra. Aussi, tout ce beau monde laisse penser que la taverne, emblème de la ville, du monde bourgeois, est pour ce genre littéraire, lui-même plutôt bourgeois et donc plus réaliste (les fabliaux, mais aussi le théâtre arrageois), une opposition manifeste au château, emblème du monde idéalisé des chevaliers preux et courtois des chansons de geste et des romans. En effet, il était certainement possible, à lépoque, de se rendre dans une taverne sans forcément être un gueux, une fripouille ou un pilier de taverne. Cependant, dans la taverne du fabliau, mais aussi dans celle du théâtre, on ne retrouve que ce qui peut y avoir de pire ou de plus bas dans une ville en matière de population : un mauvais clerc, des femmes aux murs légères, des voleurs ou des pauvres, mais aussi, pour compléter le tableau avec le théâtre, des prostituées, un moine douteux sans oublier le tavernier. On y dépeint une réalité bien dure, volontairement accentuée sur le sordide, qui na donc rien à voir avec le monde des beaux chevaliers que constitue la cour dun Charlemagne ou dun Arthur.



II LE VIN ET LIVRESSE

Aussi, il faut maintenant parler du thème qui est en relation directe avec celui de la taverne : le vin et livresse.

1) Les vins dans les fabliaux

Les vins évoqués dans les fabliaux nous renseignent sur ce que lon buvait réellement au Moyen Âge.

- Les vins du nord

Ainsi, on note un net succès des vins du nord de la France. En effet, à partir du XIe siècle, les villes se développent dans cette partie du pays et lessor urbain favorise la production et le commerce du vin. Cest lépoque où la Flandre, le Hénaut, lAngleterre, tous les pays qui bordent la Mer du Nord et la Baltique connaissent une prospérité certaine et cherchent à sapprovisionner pour alimenter leurs villes en pleine croissance. Les transports longs et coûteux incitent à produire le plus près possible des lieux de consommation et lon comprend ainsi la fortune précoce de la viticulture attachée aux vallées de lOise, de la Marne et de la Seine. Dans Les Trois Dames de Paris, par exemple, Dame Tiphaine vante la qualité du vin de Rivière (vv. 30-31), qui est un vignoble rémois des berges de la Marne aux environs dEpernay et dHauvilliers. Roger Dion considère que cest

le vin le plus estimé des vins de la Champagne viticole.
De même, le vin de Soissons revient très souvent dans les textes médiévaux. Dans Les Trois Aveugles de Compiègne, le crieur en fait la réclame (v. 74), ainsi que celui de Courtois dArras (v. 103) pour le théâtre.

- Les vins dOrléans et dAuxerre

Si lon descend un peu, les vins dOrléans et dAuxerre jouissent également dune excellente réputation au Moyen Âge, surtout celui dAuxerre. Dans La Bourgeoise dOrléans, il est fait allusion à des blans et des auvernois. Ce serait, selon Roger Dion, lune des premières attestations de lexistence dun tel cépage en Orléanais [op. cit., p.159]. Il sagirait dun vin rouge, un pinot, mais dun rouge relativement peu prononcé jusquà la fin du XIVe siècle, la cuvaison durant alors assez peu. Le vin dAuxerre, quant à lui, se retrouve dans quasiment tous les textes médiévaux qui parlent de vin. Le crieur des Trois Aveugles de Compiègne, avec le vin de Soissons (v. 74), vante aussi la qualité de son vin dAuxerre, comme les taverniers du Jeu de la Feuillée (vv. 9-10) et du Jeu de saint Nicolas (v. 253) en ce qui concerne le théâtre. Il semble que les vins dAuxerre étaient principalement des vins blancs.

- Les vins du sud

Dautre part, le fabliau des Trois Dames de Paris nous apprend que les vins du sud de la France étaient connus et appréciés, pour certains, dans le nord. Margue, lune des trois femmes, trouve que le vin de Rivière lui

fait la bouche amere (v. 78)
et demande du grenache (v. 79) que tout le monde appréciera. Le grenache est un cépage noir, à gros grains, cultivé dans le Languedoc et le Roussillon. Margue le trouvera meilleur que les vins de France, que le vin dArbois (Jura) et même que le Saint-Emilion. Ceci a de quoi surprendre quand on pense à la réputation de ces vins-là aujourdhui. Cest sans doute à cause de ces nombreuses années calamiteuses dont sont remplies les chroniques, où les gelées de mai et les pluies continues de septembre empêchent le vignoble de Bordeaux de faire souvent du bon vin, comme lexplique Marcel Lachiver.

- Les vins nouveaux

Enfin il nous faut dire quelques mots sur les vins nouveaux. Les vins nouveaux ne semblaient pas franchement appréciés au Moyen Âge, en règle générale, si lon en croit le fabliau " Des Vins dOuan ", véritable réquisitoire des vins nouveaux qui sont décrits comme étant

Dur et de mal orde,
Pou plesant et mal acuillable (vv. 8-9).

Vert sont et dur et deloiaus,
Quil vuelent les gens estrangler (vv. 52-53).
Dailleurs, si lon se rappelle, le tavernier du Jeu de la Feuillée précise que le vin quil sert nest pas du vin nouveau :

Et si vous au bien en couvent
Quauen ne vint mie dAuchoirre (vv. 912-913)
(et puis je vous promets quil ne vient pas darriver dAuxerre).
Voilà donc tout ce que lon peut apprendre dans les fabliaux sur les différents vins consommés dans la moitié nord de la France.

2 ) Beuverie de taverne et débauche de bordel : deux thèmes littéraires complètement différents

Il est à présent nécessaire de sarrêter brièvement sur un point précis concernant le thème littéraire de la taverne et de la beuverie.
Dans les fabliaux, mais aussi dans le théâtre arrageois, le thème de la taverne est complètement différent de celui du bordel. En effet, la taverne napparaît jamais dans les fabliaux érotiques et il ny a jamais de scène de prostitution ou autre chose de ce genre dans le cadre dune taverne. Les fabliaux qui traitent du sujet sont bien distincts. Pourtant, on aurait pu penser que beuverie et débauche allaient ensemble pour noircir davantage le tableau de la déchéance humaine que représente la taverne, ce, dautant plus que lon sait que les tavernes du Moyen Âge faisaient fréquemment office de maisons de prostitution. Mais il nen est fait aucune allusion, ni dans les fabliaux, ni dans le théâtre. Car si lon se remémore Courtois dArras, on sait que les prostituées qui volent Courtois sont juste de fidèles clientes de la taverne qui viennent de lextérieur. En fait, il semble, pour la mentalité médiévale, qu'il sagisse de deux thèmes littéraires tout à fait différents qui nont rien à voir avec la réalité de lépoque. Dans DEstormi, quand le bourgeois demande à sa nièce si son frère, Estormi, est encore au bordel, celle-ci lui répond que non quil est à la taverne (vv. 267-271). Pourquoi une telle précision, si ce nest pour spécifier quil sagit de deux lieux bien distincts et que, donc, sexe et beuverie de taverne ne se rencontrent jamais.

3) La déchéance humaine

Ainsi, la taverne est le lieu de la déchéance humaine, de par les gens qui la fréquentent, de par ceux qui la dirigent, mais aussi essentiellement à cause du vin que lon y consomme. Pour ce thème de la déchéance humaine, le fabliau des Trois Dames de Paris offre un exemple particulièrement grave, et pathétique en ce qui concerne la fin. Si lon peut sourire au début de lhistoire, lorsque les trois femmes consomment hanap de vin après hanap de vin et se goinfrent tout autant, on ne rit plus du tout à partir du moment où elles sortent danser nues sur la place publique et où lon senfonce de plus en plus dans le macabre le plus rebutant. La leçon est claire, bouffe et beuverie poussées à ce point conduisent à la destruction totale du corps qui prend jusquà laspect répugnant dun cadavre en décomposition. La première partie du fabliau réunit ainsi, sur le mode joyeux, toutes les formes du plaisir de la bouche : goinfrerie et ivrognerie, mais aussi délicatesse de lamateur qui sait mâcher le vin pour en apprécier toutes les qualités. Le rythme, admirablement soutenu, est celui dune cavalcade ; nest que lexcès de gaité, rien ne permet dimaginer létat de délabrement physique auquel la seconde partie sera consacrée : le diptyque est construit en parfaite antithèse. Les trois femmes se déshabillent avant de sortir pour danser sur la place publique (la nuit est déjà tombée depuis longtemps), signe ultime, en pareil contexte, de la libération du corps. Ambiance de fête carnavalesque donc : lépiphanie se transforme en Mardi Gras. La seconde partie prolonge donc cette plongée dans ce que lon peut appeler le " bas ", sous forme dun retour à la terre au sens propre du mot, avec tout le cortège de scatologie souhaitable : les trois dames, affalées en plein bourbier,

Plus emboees que pourciaus (v.180),
gisent

Comme merdes enmi la voie (v. 219)

Hors leur sailloit par les gencives
Li vins et par touz les conduis (vv. 226-227).
Au matin, la population les trouve et les croît mortes. Elles sont enterrées au cimetière des Innocents, mais se réveillent la nuit, sortent de terre et tombent sous leffet du vent ; le spectacle est alors de plus en plus répugnant :

Norent bouche, oil ne nes ne face
Qui ne fust de boe couvers,
Et toutes chargies de vers (vv. 256-258).
Ensuite, ceux qui avaient assisté à leur enterrement se sauvent à leur vue, prenant les trois femmes apparemment ressuscitées pour luvre du diable (vv. 272-273). On peut donc vraiment parler, pour ce fabliau, dun descente aux Enfers. Car la taverne dans Les Trois Dames de Paris est comme une gueule dEnfer au milieu de la ville où tombent les égarés pour ne plus en sortir. Cest comme une porte, un passage entre le monde réel et lEnfer. Les trois femmes arrivent du monde réel à la taverne et quand elles en sortent, cest pour se retrouver en Enfer avec : une danse démoniaque, livresse, le vent glacial, la boue, limage de la pourriture du corps, jusquà se faire prendre elles-mêmes pour des diablesses (ce qui montre bien quelles sont passées en Enfer symboliquement parlant). Les Trois Dames de Paris sont donc la meilleure illustration de la taverne comme lieu de la déchéance humaine, avec une image très violente de la dégradation du corps, pourri par excès des plaisirs de bouche, nourriture copieuse et vin en abondance.



III SIGNIFICATION DU VIN ET DE LA TAVERNE

Pour terminer, il nous reste à chercher un peu quelle peut être la signification du vin et de la taverne dans les fabliaux.

1) Le vin

Le vin est, selon H. Rey-Flaud,

Lacteur principal, invisible et omniprésent de la taverne.
[Op. cit., p.118]
Il est en effet la seule chose qui tienne lieu dâme à toute cette population de taverne : pauvres, truands ou personnes dépravées, cest en lui quils font naufrage, quils se noient et sont conduits aux portes de lEnfer, comme nous lavons déjà dit en ce qui concerne Les Trois Dames de Paris. Le vin offre du rêve, de lillusion, mais est en fait le breuvage qui entraîne la dégradation de ceux qui le goûtent. Bien loin de Rabelais, mais aussi bien loin de la fonction sacrée du vin et de livresse des Grecs de lAntiquité par rapport à Dionysos, le vin ne symbolise dans les fabliaux et le théâtre que plaisir illusoire conduisant à la déchéance pure et simple, physique et morale. On pourrait donc dire que le vin de la taverne est lanti-vin de la messe censé elever spirituellement lâme des fidèles. Toujours pour citer H. Rey-Flaud,

Dans la parole du prêtre " ceci est mon sang ", le Christ estprésent au milieu des hommes, tandis que cest par le vin que le diable est présent au milieu des hommes de la taverne. Le vin est ainsi à la fois le moyen par lequel seffectuent la damnation et la rédemption de lhumanité.
[Op. cit., p.121]
Dailleurs, en 1215, a lieu le Concile de Latran, promulguant le dogme de la " transsubstantation ", cest-à-dire le fait que le vin du calice, à la messe, symbolise le sang de Jésus-Christ. Ce concile est à peu près contemporain du développement des villes, des fabliaux et du théâtre arrageois. Peut-être est-ce donc en réponse à ce nouveau dogme, que lon a voulu souligner, à travers lunivers de la taverne, lautre aspect du vin, laspect diabolique qui ravage lêtre humain qui a le malheur dentrer en ce lieu.

2) La taverne

Si le vin, dans les fabliaux, constitue une porte de lEnfer, on peut dire que la taverne représente lanti-église par excellence. Tout comme le vin de la taverne qui soppose au vin de messe, la taverne symbolise lautre pôle de la ville par rapport à léglise. Si léglise est le lieu où lon est censé élever les âmes, la taverne est au contraire, comme nous lavons vu, le lieu urbain de la descente aux Enfers, de la plongée vers le " bas " où tous les marginaux de la ville (voleurs, pauvres) peuvent venir se perdre. La phrase de Courtois dans Courtois dArras appuie dailleurs cette idée de lanti-église :

Créenz fet meillor quau moustier (v. 125)
(Ici, on est mieux quà léglise).
Cepedant, non seulement la taverne saffiche comme lanti-église, mais en plus elle le fait en parodiant cette dernière. Les choses saintes y sont complètement transgressées. Si lon se souvient, Les Trois Dames de Paris constituent un bien étrange pèlerinage et tout le fabliau reste sous le signe dune parodie de la fête de lépiphanie où les trois Rois-Mages laissent place à trois reines de la goinfrerie et de livrognerie. Dailleurs, sans doute nest-ce pas un hasard si lune des trois femmes, qui fait office de crieur de vin, sappelle Tiphaine, prénom dont létymologie renvoie directement à lépiphanie. En criant le vin au début du fabliau, elle aurait ainsi la fonction dannoncer la parodie religieuse. De plus, en matière de vocabulaire, le verbe taverner, en ancien français, qui veut dire généralement " vendre dans une taverne ", " vendre " en général, ou bien " fréquenter les tavernes ", peut aussi avoir le sens de " profaner " [Godefroy, Lexique de l'ancien français, Champion, Paris, 1990]. Enfin, on peut mettre ce thème des rites religieux tournés en dérision par la taverne en rapport avec les uvres gaillardes des Goliards du XIe au XIIIe siècle. On pensera tout particulièrement à la Messe des joueurs (Carmina lusorum) qui se trouve dans le manuscrit des Carmina burana [op. cit., disque 1, plages 8 à 12], ainsi quaux chansons " à boire et à manger " (Carmina gulatorum et potatorum) [op. cit., disque 1, plages 1 à 7] contenues dans ce même manuscrit. La Messe des Joueurs est une parodie de messe où tous les chants, repris sur un schéma de messe traditionnelle, sont tournés en ridicule (sur le CD, outre les chanteurs qui chantent faux, on entend des bruits de dés et des ricanements : reconstitution, bien-sûr, mais, semble-t-il, assez fidèle à lambiance voulue). On pourra mentionner, parmi les chansons " à boire et à manger citées ", celle d" In Taberna quando sumus " (Quand nous sommes à la taverne) [op. cit., disque 1, plage 7]. La parodie de léglise par la taverne ne peut être plus manifeste. La taverne est donc bien le lieu de renversement des valeurs religieuses, bouleversées sous leffet du vin.



En conclusion, la taverne dans les fabliaux na donc pas la place quelle tient dans le théâtre. Sans doute est-ce parce que, bien quétant un genre du nord de la France, les fabliaux ne sont pas le propre de la ville dArras dont la taverne semble être lemblème dans la littérature, comme le théâtre du XIIIe siècle qui la rendue célèbre. Mais, lexplication semble surtout être que le fabliau, genre littéraire bourgeois, est fondé sur la notion de famille. Or, lennemi de la famille, le lieu qui lui porte préjudice, ce nest pas la taverne, mais le bordel, qui apparaît, lui, davantage. Toujours est-il que le thème de la taverne y est traité de la même manière que dans le théâtre. Cest la même idée négative de décadence qui en ressort : un personnel et des clients douteux, un vin qui perd ceux qui en boient et des valeurs et rites religieux transgressés et tournés en dérision. Lidée de fête dans la taverne des fabliaux est plutôt grinçante et tourne forcément mal, surtout dans lexemple cinglant des Trois Dames de Paris. La taverne des fabliaux (et du théâtre) : une sorte dassommoir, quelques siècles avant Zola.

Par Menforu le 4/10/2001 à 18:48:00 (#228891)

heu.... m'sieur le prof' z'avez pas une petite fiche résumée de l'ensemble ?

Par Mc Kany-Cy-GR le 4/10/2001 à 18:54:00 (#228892)

cela voudrais dire que je suis le diable en personne....
sniff vais prendre un verre a la taverne pour oublier ca :(

Par Grayswandir le 4/10/2001 à 18:56:00 (#228893)

Arh.. c long, vais l'imprimer plutot...

Par Horvath le 4/10/2001 à 19:07:00 (#228894)

Ce serait mentir que de dire que j'ai lu l'ensemble du document

Lisez en diagonale, y a pas mal de choses interessantes, mais beaucoup de superflut.

Bonne lecture & bon jeu

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