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[Nouvelle] Focalisation ZĂ©ro .

Par The PanjumuttaĂŻ le 25/10/2002 Ă  11:44:33 (#2403358)

Cette petite et modeste nouvelle est toute entière , elle aussi , dédiée au chanteur et artiste , Mano Solo .

"Il m'arrive encore"


Je marche dans la brume blanchissante du matin , il est neuf heures .
Les gens que je croisent s’extirpent difficilement d’un sommeil passé , de la fin de leur nuit , qu’elle soit douce ou baignée de douleurs .
Parce qu’il faut le dire , je parie que la moitié des somnambules que je croise ont pleuré cette nuit . J’en mettrais ma main à couper . Tout le monde pleure , seulement , il y a des personnes chez qui ça se remarque plus que chez d’autres . Il y en a qui se surprennent en pleine faiblesse et qui ferment les vannes en paniquant . D’autres dont les joues sont creusées de sillons . Ceux qui ont , apposés sur leurs front , l’étiquette « pleurnicheur » , et qui n’ont plus alors de raison pour se retenir . Et ils marchent tous dans les mêmes rues , ils respirent tous les même air . Se maudissant à la moindre occasion . L’ironie de la situation vient du fait qu’ils ne croient pas un mot de ce qu’ils crachent à la gueule des autres . C’est simplement qu’ils se cachent .

Vous nÂ’me croyez pas ?

Vous avez tort . Je suis entre les deux , je suis ces deux catégories de personne à la fois .
Je suis cinglé , et vous n’avez aucun commentaire à faire à ce sujet . Je suis cinglé et je l’assume .

Je marchais en moi-même . J’étais comme la tortue apeurée qui se rétracte en faisant un pied de nez au monde extérieur . J’ai écumé cette nuit . J’n’ai pas trouvé le sommeil , des épines invisibles me ratissaient le corps , m’empêchaient de respirer , me perçaient le cœur sans relâche . Autant vous dire que j’étais presque heureux de me lever .

Depuis que j’ai quitté le lycée , j’ai pas de boulot . J’ai des amis . Des gens qui ont pitié de ma faiblesse , ou du moins , des gens que je pense , moi , voir comme ayant pitié de c’pauvre mec . Vous voyez ? Quand je vous disais que je suis les deux à la fois .

Focalisation Zéro , vous avez bien appris ça , à l’école , non ?

Je vois le Mal , je connais le Mal et je sens le Mal .

Bref , j’en étais à traîner ma carcasse vers le marché multicolore , profusions de fruits et de légumes (quelle fibre poétique , mes enfants !) multicolore , ou , plus simplement , banale occasion d’essuyer les regards acides des bonnes gens « Vous ne trouvez pas qu’il vieillit , petit à petit , ce petit jeune ? » , « Voilà le fruit d’une génération pourrie-gâtée » , « Vous savez , de mon temps … » , « Et vous vous rappelez le petit de la famille Bergeai qui … »

Pathétique . J’ai plus d’orgueil que tous des cloportes .

J’ai un cœur , même si il saigne , j’ai des sentiments , même s’ils me tuent . A ce qu’il paraît , ça s’appelle le choc des générations .

Histoire de ne pas mourir de faim tout de suite , étant donné que j’ai quelques entretiens d’embauche , Mardi . Comptable dans une entreprise d’import-export électroménager . Le pied . Mais que voulez-vous , il faut bien s’adapter . A être misérable un boulot misérable . Est-ce que j’me plains ? non .

Ma vie , pour le moment , ressemble à une longue décrépitude . J’étais beau et attendrissant , étant petit , puis je suis devenu beau et pitoyable , adolescent , pour finir , au seuil de la vie d’adulte , défiguré et méprisable . Mais j’ai tout de même eu mon bac Scientifique avec une mention Bien , alors je n’vois pas le problème , n’est-ce pas ? Quels souvenirs je garde de ma période Grunge-Rebel ? Oh , si peu … Une voix cassée pour de bon , des coups de rasoirs , des amours enflammés (Ben oui … On peut être fleur bleue , même avec un jean déchiré) , et des litres d’alcool mêlé de sang . Le sang . Ce liquide vital , infiniment rouge . Il m’obsède . J’en ai tellement versé que je me demande ce qui coule , à présent , dans mes veines .

Cette nuit , je n’ai pas pu dormir , j’étais terrorisé dans le noir .
Mon esprit , c’est une sorte de grand cinéma . Avec plusieurs écrans . Un petit , mon écran personnel , où je projette ce que je veux , quand ça me plaît , et le grand écran , séance au choix . L’ennui , c’est que lorsque le public a fait son choix , je peux rien y faire .
Et ils avaient choisi quelque chose de bien étrange . Une image de mon bras . Un pieu planté dans mon bras au niveau du coude . Et du sang qui coulait , qui ruisselait de toutes parts , doucement , calmement , comme un fleuve paisible . Sans arrêt . Ca a duré des heures .
Dans ma chambre , dans mon mouroir , dans le noir .

Ca explique les cernes grandes comme des soutes Ă  bagages sous mes yeux ?


Bref , je marchais dans la douceur du matin .
Les rues rectilignes Ă©taient envahies de petites vieilles , de jeunes loups en quĂŞte de proies , de notables en manque de bains de foule , et dÂ’anonymes , dÂ’une foule anonyme .

Je marchais au rythme des battements de mon cœur . Chacun de mes pas , en quelque sorte , étant la preuve que je vivais toujours . C’est pas toujours inutile de se le rappeler .Il me semblait vraiment entendre quelques airs de valses traverser l’air opaque de cette matinée de Novembre . Novembre , le mois où les arbres , comme les hommes , blanchissent .

Je n’ai aucun espoir dans la vie . C’est à dire que je n’attend rien d’elle . Je l’ai pas toujours choyée , ma vie , alors je n’lui demande pas de me rendre la pareille . Pas plus que de me laisser tranquille . Mais elle est comme moi , incapable de prendre une décision . J’aimerais un jour qu’elle m’emporte , ou bien qu’elle me pardonne , mais qu’elle tranche (Enfin … façon de parler) . Les railleries me passent au dessus de la tête . Je ne sais même plus si c’est parce que je deviens plus fort , ou trop faible . Je ne sais plus exactement si mon cœur bat .
Ca paraît une évidence , comme ça , mais …

J’ai l’impression de vivre sur une étoile . Loin , vraiment loin d’ici . J’ai l’impression qu’à chaque fois que j’aperçois une visage , le matin , j’atterris , littéralement . Et le retour est souvent douloureux . C’est pour ça que les rideaux de ma chambre sont toujours fermés . Comme ça , je retrouve ma planète , après une escapade de casse-cou dans le monde des humains .

NÂ’empĂŞche que Â…
J’ai vu une petite fille qui cherchait sa mère .
Au milieu de la foule .
Elle se détachait du décors . Elle braillait horriblement .
Les valses devenaient plus enivrantes , je sentais ma pauvre tête tourner , le soleil sort de son trou , je sens un rayon réchauffer ma peau . Ouf .. Je ne m’étais pas rendu compte que j’avais si froid …

Je vais à sa rencontre . Je déteste ma voix . Une vois faible , cassante , pleine de langueur .
« Qu’est ce qui t’arrive , ma grande ? »

«J’ai plus ma maman , elle est perdue » .

Oh oui .. c’est sûrement ta mère qui s’est perdue dans la foule , petite . Je me demande en fait si t’es pas la seule à être bien là , à bien savoir où tu es .

« Ben j’vais te la retrouver , ta maman , moi . »

JÂ’essaye de pas trop sourire .

«Suis-moi » La voilà qui clopine derrière moi comme les réfugiés derrière le patriarche .
Nous avons fait quelques fois le tour du marché , je regardais les mêmes visages percer ma mine hagarde . Au troisième passage devant la fontaine , je vis ma protégée partir comme une flèche et sauter dans les bras d’une femme éplorée . Sa fille me regarde . Elle se met à me regarder . J’aime pas son regard : elle cherche à me dire « J’aime pas que vous vous approchiez de ma fille » , mais elle le fait suffisamment discrètement pour que cette dernière ne s’en rende pas compte .

Mais la petite fée est vivace . Elle s’échappe de l’étreinte de sa mère pour venir s’accrocher à moi , elle me dit « T’en va pas monsieur ! » , sa génitrice est furax . J’aurais , en temps normal , trouvé le moment délectable , mais , aussi étrange que ça puisse vous paraître , j’avais le cœur brisé et en miettes . La voilà pas qui se met à pleurer parce que j’essaye de la détacher de moi . Je bégaie quelques mots afin de lui expliquer que je ne suis pas son père , et que son vrai pôpa l’attend chez elle .

Elle m’a répondu : « J’ai pas de père , maman dit qu’il est parti en voyage très loin » .

Il est mort , quoi .

Que voulais-tu que j’fasse ? Sa mère gesticulait .

Je lui ai expliqué qu’il fallait qu’elle retourne avec sa mère , mais que j’l’oublierai pas , bla bla bla …

Elle était radieuse . J’étais anéanti .

La voilà qui me colle un bisou dégueulasse sur la joue et qui , rayonnante , fait demi-tour pour sauter dans les bras de sa maman .

La dame en question m’esquisse finalement un sourire réservé , je crois qu’elle a été attendrie … J’l’ai regardé s’éloigner dans la foule anonyme .

Finalement , j’n’avais plus faim . Je suis rentré chez moi les yeux rivés sur le soleil . Je crois que je pleurais .

Je suis sûr que le vent était chargé de valses , j’entendais des roulements de tambours lointains , des airs de tango qui semblaient me défier : « Es-tu capable de vivre ? » ...

Je crois que jÂ’ai beaucoup de choses Ă  refaire Â…
A commencer par ouvrir mes rideaux .

Triste , débauché , incompris , agonisant , cinglé , mais encore vivant .
Je suis vivant !

Par Donne With le 25/10/2002 Ă  11:46:56 (#2403374)

:lit:

Par Lorme Valion le 25/10/2002 Ă  16:47:03 (#2406016)

c'est très joli et mano Solo est un parolier d'exeption qui sait retransmettre ses émotions comme nul autre.les chansons que j'écoute de lui sont vraiment tristes mais je les adore.

Par The PanjumuttaĂŻ le 25/10/2002 Ă  16:50:03 (#2406037)

Et je le vois de la même façon que toi .. ses textes ont une profonde raisonnance en moi .. pour plein de raisons différentes , et ces quelques mots maladroits sont ma manière à moi de lui dire "merci" :)

"Et je sais qu'un jour viendra
OĂą le mur s'arrĂŞtera !"

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