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Une nuit à Chateau-Zenthyl
Par ADONAI le 5/8/2002 à 14:42:05 (#1918308)
Les dernières lueurs du crépuscule seffaçaient lentement dans le lointain. Lauréole rougeâtre qui nimbait les montagnes du couchant diminua insensiblement, pour finalement disparaître totalement. La voûte stellaire était magnifique ce soir là : la lune, discrète, néclipsait en rien la splendeur de ce ciel parsemé détoiles, si nombreuses quil aurait pu passer le reste de son existence à les simplement compter, sans pour autant achever sa tâche. Etait-ce un moment exceptionnel ? Ouvrait-il pour la première fois les yeux à une splendeur toujours présente, mais jusque là dédaignée ? Il lignorait. Quoi quil en soit, cette nuit était particulièrement ensorcelante. Elle était différente de toutes les autres : ce soir, en effet, le jeune novice allait rencontrer la mort. Il effleura rêveusement la rambarde de marbre qui délimitait la grande terrasse du temple réservé au noviciat, et frissonna soudain sous la morsure dune légère bourrasque de ce vent glacé, si commun dans les hauteurs de la ville, ce vent venu des monts environnantes. Sous leffet conjugué du froid et de cette sourde angoisse, sournoisement lovée au creux de son estomac, il se mit à trembler et ramena fiévreusement sa capeline sur ses épaules, en quête de chaleur et de réconfort. Son regard sarracha, presque à regret, à la contemplation de limmensité, pour observer la vaste cité qui sétendait en contrebas. Lordre implacable de la ville haute sévanouissait abruptement au-delà de lenceinte intérieure. La parfaite symétrie, les vastes bâtiments dun même marbre noir, la magnificence de ses statues, de ses jardins à lapparence subtilement sauvage, soigneusement étudiés pour entretenir lillusion dune croissance anarchique, tout cela cédait brutalement la place au désordre et à lanarchie la plus totale. Les larges avenues, les places spacieuses, se transformaient soudain en sombres venelles, en ruelles sinueuses. La lumière du quartier des temples, généreusement dispensée par dinnombrables braseros de fer forgé, semblait engloutie par les ténèbres de la ville basse. Une auguste majesté, à peine troublée par le passage régulier des patrouilles de templiers, se transformait en intense fourmillement pour qui savait décrypter les messages du silence et de lombre. Nul ne défiait, en apparence, le couvre-feu édicté dans tout zenthyl dés le couché du soleil. Ce nétaient que glissements furtifs, silhouettes à peine perceptible longeant les bâtisses aux volets clôt, feulement discret dune lame qui tranche ou transperce, râle étouffé dune victime, pas légers dun meurtrier. La nuit venue, les bas-quartiers, lessentiel ou presque- de la cité, devenait véritablement le royaume des ombres. Ce monde, pourtant, nétait pas si chaotique quun étranger aurait pu le penser de prime abord : il avait ses lois informelles, ses commandements tacites, ses codes ancestraux et immuables, entretenus avec soin par la vigilante attention des guildes, toute-puissante du crépuscule à laube. Il nétait quun seul crime, aller contre la volonté des puissants, et un seul châtiment, une mort rapide et impitoyable
Tout cela, le jeune prêtre le savait : on le lui avait enseignait lors de son arrivée au temple, six ans plus tôt. Le jeune provincial dalors, adolescent maladroit en butte aux railleries de ses camarades citadins, avait écouté, fasciné, les récits des cadets, ces histoires terrifiantes que lon se racontait le soir venu, après lextinction des feux. Il réalisait donc fort bien ce que signifiait lordre quil avait reçu en prenant son service pour les vêpres, tôt ce matin là : se rendre en la demeure de Lord Orgauth, à minuit, pour y répondre à une convocation subite, ce après avoir traversé le monde des ombres sans la moindre escorte, ni le moindre signe ostensible de la protection dun puissant, nétait que trop parlant. Il tentait de se convaincre que lon avait fait passé le mot, que sa sortie était prévue, que tout se passerait bien, mais il savait bien, au fond de son être, que lon ne procédait jamais ainsi. Quelquun, quelquun part au sein de la complexe bureaucratie du clergé zenthar, à lun quelconque des nombreux degrés de sa non moins complexe hiérarchie, avait désiré sa mort. Il devait périr ce soir, et en ignorait même la raison : pourquoi ? Qui soutiendrait le bras du tueur qui lui trancherait la gorge ? La folle hypothèse dune erreur, séduisante par la lueur despoir quelle entretenait, revenait constamment hanter ses pensées. Ce ne pouvait être les bibliothécaires ! Il navait jamais compulsé que des ouvrages mineurs, et aucun bien sûr qui figura à lindex. Il ne connaissait rien des magiocrates et cest tout juste si il transmettait parfois un rapport circonstancié à lun des serviteurs de larchimage, toujours sur les sujets les plus insignifiants. Il était impensable que lon veuille le voir disparaître pour le simple rappel dun ouvrage trop longtemps retenu par lun des magistères de la phalange noire, ou lanodine demande de transcription dun livre nouvellement obtenu par le temple
Quand aux guildes, cette simple supposition était blasphématoire : les assassins, si essentiels quils soient, ne disposaient daucun pouvoir réel. Ils obéissaient aux ordres, et prenaient garde de ne jamais simpliquer dans les intérêts de leurs puissants commanditaires. Leur neutralité demeurait depuis des siècles le garant de leur survie en tant que caste, et jamais ils nauraient eux-mêmes désigné une cible, outrepassant ainsi le verbe de lordre noir ! Il ne fréquentait guère les cercles nobiliaires, et navait rien fait ni dit qui puisse lui attirer linimité de lune des anciennes familles. Quand aux militaires, que leurs importait lexistence dun obscure serviteur de lordre, officiant au sein de lintendance et des services darchivage ? Une dernière faction demeurait, la seule source plausible de cette sentence définitive : la théocratie elle-même, et sa bureaucratie tentaculaire. Il doutait que lon ait voulu sa mort au sein de son propre département : aucun novice ne convoitait son poste et ses supérieurs sétaient toujours montré satisfait de son travail. Pourtant, il ne connaissait aucun secret véritable, navait jamais uvré à quelque tâche dimportance, ni déranger quiconque de quelque manière que se soit : rien dans son existence paisible et besogneuse ne justifiait semblable décision. Il ne comprenait pas.
Les cloches du temple résonnèrent soudain. Lorsque le neuvième coup fut sonné, il referma hâtivement sa capeline et descendit lentement les marches cyclopéennes menant à la grande place, quil traversa aussitôt, sans omettre de saluer le silencieux lieutenant qui encadrait les gardes de lédifice. La voie sacré qui menait des temples à lenceinte seffaça bien plus vite quil ne laurait voulu : son ordre de mission fut visé par le factotum, qui le dévisagea étrangement, visiblement conscient du caractère extrêmement inhabituel de cette sortie nocturne. Il frissonna lorsque le claquement sec du portail qui se refermait annonça son entrée dans le royaume des ombres. Il ne reconnaissait pas les maisons, pourtant si familières, tant les ténèbres lui paraissaient denses, marquant la cité de leur empreinte, transformant chaque bâtisse, chaque rue, chaque statue en une forme menaçante. Des rumeurs lointaines lui parvinrent subitement, pour sévanouir aussitôt. Il maîtrisa à grand peine le tremblement continu qui agitait son corps et sengagea dans une venelle, prenant la direction de la demeure de lord Orgauth, sise à lautre bout de la cité, à plus dune demi-heure de la marche la plus rapide. Il sentit aussitôt dimperceptibles regards se poser sur lui : un point situé entre ses omoplates le démangeait douloureusement, là où il devinait se poser les yeux dinnombrables tueurs, là sans doute- où viendrait senfoncer la lame meurtrière
Il força lallure, inconsidérément sans doute, car un fort point de coté lobligea à sarrêter quelques minutes plus tard. Le silence, pesant et mensonger, régnait toujours sur la ville basse. Il laperçut alors. La silhouette encapuchonnée de noir, sombre et élancée, se tenait à vingt mètres seulement de lui, presque immobile. Lhomme, nonchalamment adossé à un vieux portail, abrité sous un porche sculpté, se tenait face à lui. En dépit des ténèbres qui dissimulaient son visage, il percevait la brûlure cuisante de ce regard, froid et avide, posé sur lui. La panique le gagna presque aussitôt : son cur semballa et ses jambes cessèrent de lui obéir. Il couru à perdre haleine, son cerveau perdu dans une brume opaque, tournant ici à gauche, là à droite, incapable de dire où il allait ni ce quil recherchait. Il nexistait aucun secours providentiel à espérer, aucun havre de paix où il puisse se réfugier. Il courrait néanmoins, sans raison ni espoir, le souffle coupé, lesprit égaré. Lorsque cette fuite éperdue et dénuée de sens sacheva enfin, il sécroula contre le rebord de marbre noir dune antique fontaine. Leau glacé lui engourdit la main mais réveilla ses sens. Son cur affolé semblait vouloir se rompre et son sang battait à ses tempes, assourdissant. Il nentendait rien dautre que ce battement sourd, ne sentait rien dautre que le froid mordant de londe. Seule sa vue demeurait intacte, aussi jeta-t-il un regard circulaire et inquiet autour de la place : lassassin se tenait là, immobile, assis paisiblement sur une margelle de pierre. Bien que lombre dun vaste bâtiment le dissimula parfaitement, le jeune prêtre laperçut aussitôt, comme si son bourreau lavait désiré. Son corps céda sous leffet de la peur et de la fatigue, et ses jambes refusèrent de le porter plus longtemps. Il sécroula à genou et se mit à sangloter sans pouvoir sarrêter, incapable de quitter le tueur des yeux. Il réalisa bien trop tard quun autre homme venait de quitter une ruelle adjacente, traversant furtivement la place pour se porter à son niveau. Lacier qui brillait dans sa main gauche linforma pourtant de sa présence quelques instants avant quil ne frappe. Le jeune prêtre contempla passivement le visage de la faucheuse et vit le bras se lever lentement au-dessus de lui. Il ferma les yeux et attendit le coup fatal
Quelques fragments déternité sécoulèrent, sans que la cinglante et fugace douleur ne lenvahisse. Il regarda craintivement lassassin. A sa grande surprise, celui-ci sétait totalement désintéressé de sa personne. La dague avait rejoint son invisible fourreau, et le sombre personnage se tenait étrangement, le bras droit replié contre la poitrine, le buste légèrement penché en avant. Le salut déférent sadressait visiblement à son poursuivant : hébété, son regard alla de lun à lautre, sans véritablement comprendre. Lassassin se releva nonchalamment et sapprocha avec une lenteur calculé. Le nouveau venu seffaça aussitôt, et disparut aussi soudainement quil était apparut. Il balbutia quelques marmonnements incompréhensible, tandis que lhomme avançait et releva la tête lorsquil simmobilisa devant lui, relevant son capuchon. Son visage inexpressif sanima un instant, et les commissures de ses lèvres se relevèrent, formant un petit sourire amusé : le jeune prêtre saisi la main ganté de noir, lentement tendue vers lui, et se releva. Tout en lui illustrait sa totale incompréhension, et cest mécaniquement quil sengagea à la suite de son sauveur dans les rues de la cité. Ils marchèrent quelques temps, sans quune parole soit échangée, et débouchèrent finalement dans une petite impasse poussiéreuse et encombrée, entourée de masures en ruine. Lassassin savança et gravit une volée de marches irrégulières jusquà une petite porte aveugle, flanquée de deux gargouilles grossières. Les statues tournèrent simultanément leurs têtes de granit en direction du tueur, deux paires dyeux sinistrement luisant se fixant soudainement. Ce dernier esquissa un léger mouvement du bras et murmura doucement détrange syllabes, puis désigna de la main son protégé : les regards inquisiteurs se posèrent sur lui, et il sentit dinvisibles palpes parcourir son esprit, en quête de réponses. Il voulait hurler mais aucun son naccepta de quitter sa gorge, si ce nest un gémissement sourd et guttural. La lueur verdâtre seffaça lentement, tandis que les gargouilles redevenaient simples sculptures de pierre. Le battant émit alors un unique cliquetis et sentrouvrit dans un grincement sonore, dévoilant un escalier abruptement taillé dans le roc. Le passage senfonçait dans les ténèbres et le silence, un épais nuage de matière en décomposition, soulevé par louverture de lhuis, retombant lentement sur les marches mal dégrossies. Le guide linvita dun geste à sy engager, puis quitta limpasse sans un regard en arrière, le laissant définitivement seul. Seul avec son désarroi.
Lair était étrangement humide, et chargé en même temps dune étouffante poussière, soulevée par chacun de ses pas. Lescalier, interminable, lavait mené jusqu'à un étroit tunnel, marqué à intervalle régulier par des torchères de métal rouillé qui diffusaient une clarté pâle, ainsi quune fumée urticante. Les murs étaient de grès sombre, le sol recouvert dune fine couche de terre battue et le plafond relativement bas, lensemble taillé dans la pierre brute. Il marchait depuis plusieurs dizaines de minutes, une heure peut-être, épuisé à la fois par sa course récente et le poids de ses angoisses, par cette attente insupportable. A maintes reprises, il aperçut des grilles de fer rongées par les ans, permettant probablement daccéder sur un plus vaste réseau de galeries, si ce nest les immenses égouts de la cité, mais toutes étaient semblablement verrouillées. Nul choix ne sétait offert, nulle option à prendre, si ce nest celle de suivre cet étroit chemin qui senfonçait en pente douce dans les entrailles de la terre. Le silence sestompa progressivement, remplacé dabord par un lointain bourdonnement, qui samplifia rapidement et enfla jusquà devenir enfin identifiable : de lents glissements de pas, des frottements de tissu, le bruit des pages tournées, le crissement dune chaise tirée sur le sol
Il déboucha dans la bibliothèque quelques instants plus tard, au premier détour de ce long couloir rectiligne. Son existence même était incongrue, si loin de la surface, dans les profondeurs : la salle était de proportion respectable, un peu plus de vingt mètres de long sur dix de large, et de forme rectangulaire. Les murs étaient invisibles, couverts de livres sur les cinq rangées de hautes étagères, leurs couvertures de cuir noir gravées de lettres argentées reflétant la lumière de quatre candélabres disposés aux points cardinaux. Six larges tables de bois, disposées en deux travées parallèles, remplissaient tout lespace disponible : une dizaine dhomme, encapuchonnés de noir, déambulaient silencieusement. Certains lisaient, dautres prenaient des notes ou recherchaient un ouvrage dans les rayons, tous avaient en commun de ne pas lui porter la plus petite attention. Des militaires vêtus de mailles et de vêtements sombres, ceints de longues épées au coté, se tenaient aux quatre coins de la pièce, immobiles. Tous, chercheurs comme soldats, portaient le même écusson brodé sur lépaule : un crâne stylisé, auréolé dun halo rougeâtre et surmonté dune tiare dargent, lensemble étant entouré de neufs étoiles noires identiques, symétriquement réparties en un cercle parfait. Il demeura à larrêt quelques instants, indécis, puis remarqua que lun des gardes se dirigeait lentement vers lui : lhomme linspecta minutieusement, de haut en bas, puis stoppa net et fit demi-tour, linvitant dun geste à le suivre. Ils franchirent lun après lautre larcade opposée, pénétrant dans un labyrinthique réseau de galeries basses, garnies de portes et de couloirs à intervalle régulier. Ils croisèrent de nombreuses salles illuminées, postes de garde ou pièces dédiées au repos, au travail ou à lentraînement militaire. Il aperçut une petite chapelle, des cuisines, un réfectoire, de nombreux ateliers : il réalisa vite quils ne traversaient quune petite partie du complexe, sans doute beaucoup plus vaste. Sans doute cinq ou six fois plus grand au moins. Deux cents personnes au moins devaient vivre en ces lieux, peut-être le double. Le garde semblaient parfaitement connaître les lieux, et ils progressèrent sans un mot, couloir après couloir, salle après salle : celles-ci se firent progressivement de moins en moins nombreuses, jusquà ce quils aboutissent à une petite pièce sobre, vraisemblablement une antichambre. La seule autre issue était une grille de fer forgé aux motifs abstraits, fermant un étroit passage souterrain à lextrémité dune courte volée de marches. Deux soldats de haute stature encadraient louverture, impassibles dans dimpressionnantes armures de plaques dun métal noir et luisant. Leurs heaumes, constitués dun tenant, revêtaient la forme dun crâne blanc os, et leurs bras puissants reposaient sur de large épées, sculptées de motifs étranges et inconnus, la lame biseautée en de multiples arrêtes, à lévidence plus tranchantes que le meilleur des aciers. Le soldat sinclina respectueusement devant eux, et lui désigna du doigt le portail, puis il se retira sans avoir prononcé une seule parole. Lun des soldats étendit la main, linvitant à avancer : un déclic sec se fit entendre, et la grille remonta lentement...
Une nuit à Chateau-Zenthyl (suite)
Par ADONAI le 5/8/2002 à 14:45:47 (#1918327)
« Bienvenu, messire. Bienvenu dans le domaine souterrain de nos maîtres, bienvenu au cur de lempire du zenthyl. Non, il nest point temps encore pour les questions, elles viendront plus tard. Pour lheure, je vous invite à vous installer confortablement. Votre attente ne devrait plus être longue
». Il voulu dire quelque chose, mais ses paroles demeurèrent coincée dans son gosier, noué par la peur et lémotion. Il ne parvint à émettre quun vague murmure rauque, lécho de sa propre voix lui paraissant des plus inappropriés : « Pour
Pourquoi ? ». Son hôte lui sourit doucement, un lueur déplaisante dans le regard. Il sapprêtait à lui répondre lorsque quun son que le jeune prêtre ne perçut pas attira son attention. Il se retourna aussitôt vers lun des tunnels, lui intimant le silence dun geste sec et impérieux, et mit les deux genoux à terre, posant son front contre le sol. Le zenthyllais hésita sur lattitude à adopter, et décida finalement de demeurer assis, scrutant nerveusement lobscurité du passage. Il ne vit rien de prime abord, puis distingua une forme qui se précisait lentement. Un homme pénétra dans lamphithéâtre dune démarche hésitante, se déplaçant visiblement avec difficulté. Il portait une vieille toge monastique, de couleur ocre, tachée et déchirée par endroit. Ses mains étaient jointes dans un manchon de fourrure mitée. Il se rendit jusquau trône le plus proche, à sa gauche, et sy assit avec une crispante lenteur. Il releva alors la tête et le jeune clerc entraperçut un instant lintérieur de son capuchon, retenant un cri de terreur : en lieu et place de son visage, il trouva un crâne dune blancheur osseuse et deux flammes rougeoyantes brûlant dans ses orbites creux. Son regard ne croisa celui du mort-vivant quun court instant, mais il ne recouvra le contrôle de ses muscles quaprès plusieurs minutes dune totale paralysie. Une totale panique sempara de lui dans lintervalle, et il distingua au travers dun brouillard opaque de sensations larrivée des huit autres créatures. Lorsquil reprit lusage de ses sens, le serviteur humain avait disparu, et neuf paires dyeux rougeoyant étaient fixé sur lui : toutes étaient de même espèces, mais aucune ne ressemblait véritablement à ses congénères. Là où lun portait une antique armure rouillée, jadis magnifique et aujourdhui méconnaissable, complétée par une splendide masse, puissamment enchantée, lautre sappuyait sur une canne à pommeau dargent perpétuellement neuve, en harmonie avec une redingote rongée par les ans. Leurs tailles différaient, ainsi que leurs statures, leurs vêtures, couvre-chefs, armes ou armures : tous cependant présentaient un crâne dun blanc immaculé, auréolé dun aura rougeâtre, complétés pour certain dun heaume ou dune tiare. Tous étaient tournés droit vers lui, et il sentait dinnombrables esprits se mêler au sien, en quête de vérité première, de cette lumière personnelle quétait son âme. Lorsquils leurent découvert, isolée et appréhendée, les palpes de leurs psychés se retirèrent aussi soudainement quelles avaient envahies son cerveau. Il réalisa alors qu'il hurlait depuis de longues minutes, et lécho perpétua ce cri primal pendant quelques instants encore. Il se traînait sur le sol, à genou, humain insignifiant confronté à léternité. Il ne criait pas de souffrance ou de peur, mais simplement en réponse au viol brutal de sa conscience, à la dissection impitoyable de son être. Ses rêves, ils les connaissaient. Ses pensées les plus secrètes, des plus honteuses aux plus merveilleuses, ils les avaient écartés négligemment après les avoir analysées. Ce quil avait été, ce quil était aujourdhui, sans doute ce quil serait demain, tout cela sétait trouvé à la surface, nu, sans défense, totalement impuissant. Il suait à grosse goutte et une violente nausée agitait son corps de soubresaut, bien quil fut incapable de vomir ou dexprimer la rage, lintense frustration qui dominait présentement son cur. Il aurait voulu pouvoir les détruire, les broyer, les humilier. Bien sûr, cela aussi était impensable. Il les avait supplier de cesser, il les avait insulté, maudit, menacé, avait imploré ses dieux de lui venir en aide. Il avait quémandé la mort et son oubli bienfaisant. Bien évidemment, les créatures nen avaient eut cure. Peut-être navaient-elle pas même prêté attention à ses suppliques désespérées.
Il se résigna finalement et ce tumulte intérieur sapaisa quelque peu, remplacé par un vide intérieur immense et béant. Il se mit à sangloter doucement. Soudainement, une voix doutre-tombe résonna dans lespace environnant. Lun de ses bourreaux venait de sexprimer, avec une tranchante concision. Rejeté, trop fragile. Celui ou celle qui se tenait à sa droite reprit presque aussitôt, et ainsi de suite jusquà ce quelles se fussent toutes prononcer sur sa mort ou sa vie. Je laccepte pour ma part, il apprendra à être dur. Sa loyauté est grande, je laccepte. Son humanité lest tout autant, quil soit rejeté. Sa compétence nous sera utile, je laccepte. Il a le don, Baine la remarqué parmi le troupeau. Je laccepte. Il convoitera limmortalité et remplacera peut-être lun dentre nous, je le rejette. Je suis notre frère sur ce point et le rejette. Nous navons pas renouvelé nos rangs depuis de trop longues décennies. Quil soit accepté en notre sein. Celui des neuf qui portait la tiare dargent se leva alors et se tint immobile, tandis que ses semblables regagnaient leurs antres de leurs démarches lentes et hératiques. Lorsquils eurent tous disparu, sa voix profonde et caverneuse envahie la salle de son écrasante puissance : Tu fais désormais partit de ceux-du-dessous, humain, et sert la volonté des neuf, clan parmi les clans, faction parmi les factions. Nous tavons choisit pour tes qualités intrinsèques et ton absence de liens séditieux, ta virginité intellectuelle et morale. Nous sommes le pouvoir, nous sommes la loi, sur nous repose la stabilité du noir réseau. Tu est désormais la bouche et le bras du conseil, et à travers toi sexprimera désormais notre volonté : tu sera être de grande influence, puissant parmi les puissants, seigneurs des seigneurs, mais demeurera pour toujours dans lombre du dessous, loin des fastes de la cour. Nen doute pas pourtant, tu es désormais lun des véritables maîtres de notre empire, et tous ceux du dessus te considéreront avec crainte et respect. Nous te formerons, téduquerons avec patience et diligence. Tu apprendras à assumer tes nouvelles fonctions et, si tes talents se révèlent aussi prometteurs que certains dentre nous le pensent, alors, tu siégeras un jour à mes cotés, immortel parmi les immortels, frère de zenthar par le destin. Tu existe désormais, jeune prêtre, et viens de vivre ta seconde naissance : désormais, tu es Tzenth Falu, le diplomate, craint et respecté. Puis, il regagna à son tour le tunnel tout proche. Hébété, le jeune homme demeura dans les ténèbres, se balançant davant en arrière : il sentit tout dun coup une main se poser doucement sur son épaule. On laida à se relever, avec un tel luxe de précautions que celui qui laidait ne pouvait quavoir endurer les mêmes souffrances. Une autre personne se joignit à eux et il fut porté au travers des couloir. Tout au long du chemin, des mains amis le réconfortèrent, le silence se faisant partout où il passaient, troublé seulement par des paroles amicales et apaisantes. Il flotta ainsi jusquà sentir sous lui un épais matelas. On lui retira doucement ses vêtements et une couverture soyeuse recouvrit bientôt son corps douloureux. Une chandelle fut alors mouché et il se trouva à nouveau dans lobscurité, mais des ténèbres pour une fois accueillantes, qui lentraînèrent jusquaux limbes bienfaisantes, aux frontières du sommeil et de loubli. Tzenth Falu, redouté seigneur du dessous, élu du mal le plus pure, venait de naître
Extrait des mémoires du Seigneur Doutriaux, conteur et baladin des temps oubliés
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