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Une vieille feuile de journal traine au gré du vent ...

Par Larween Torcryss le 9/12/2001 à 10:02:55 (#517887)

Le crépuscule porte son charme épais sur Windhowl. Tout est calme et serain, un feuillet de journal dont les tons ocres trahissent le passage des années paraît s'être dérobé desrayons de l'archiviste...



Le Forgeron


Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait à Théodor XVIII, un jour
Que le Peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or traînant sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle,
Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,
Que cela l'empoignait au front, comme cela !

Or, tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la
Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres:
Le Chanoine au soleil filait des patenôtres
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d'or.
Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor,
Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache
Nous fouaillaient. Hébétés comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient plus ; nous allions, nous allions,
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair... nous avions un pourboire :
On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit ;
Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit.
Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,
C'est entre nous. J'admets que tu me contredises.
Or, n'est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Enormes ? De sentir l'odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse ?
De voir des blés, des blés, des épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?...
Oh ! plus fort, on irait, au fourneau qui s'allume,
Chanter joyeusement en martelant l'enclume,
Si l'on était certain de pouvoir prendre un peu,
Etant homme, à la fin ! de ce que donne Dieu !

Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire !
Mais je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau,
Qu'un homme vienne là, dague sur le manteau,
Et me dise: Mon gars, ensemence ma terre;
Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !
Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais: Je veux !... Tu vois bien, c'est stupide.
Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons:
Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,
Et nous dirons : C'est bien: les pauvres à genoux !
Nous dorerons ton Temple en donnant nos gros sous !
Et tu te saouleras, tu feras belle fête.
Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête !

Non. Ces saletés-là datent de nos papas !
Oh ! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Prison en poussière.
Cette bête suait du sang à chaque pierre
Et c'était dégoûtant, la Prison debout
Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !

Citoyen ! citoyen ! c'était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Nous avions quelque chose au coeur comme l'amour.
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là...
Nous marchions au soleil, front haut, comme cela,
Dans Silversky ! On venait devant nos vestes sales.
Enfin ! Nous nous sentions Hommes !
Nous étions pâles, Sire, nous étions saouls de terribles espoirs :
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main ; nous n'eûmes pas de haine,
Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux !

Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous !
Le tas des ouvriers a monté dans la rue,
Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue
De sombres revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l'épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !

Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais
Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins ! se disent : Qu'ils sont sots !
Pour mitonner des lois, coller de petits pots
Pleins de jolis décrets roses et de droguailles,
S'amuser à couper proprement quelques tailles,
Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux,
Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux!
Pour ne rien redouter, rien, que les lames....
C'est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes !
Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats
Et de ces ventres-dieux. Ah ! ce sont là les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces,
Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses !...

Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,
La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer,
Ses tambours, ses grands cris de balles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignant de bonnets rouges:
L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au roi pâle et suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !

C'est la Crapule, Sire. ça bave aux murs, ça monte, ca pullule :
Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux !
Je suis un forgeron: ma femme est avec eux,
Folle ! Elle croit trouver du pain aux Tuileries !
On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J'ai trois petits. Je suis crapule. Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu'on leur a pris leur garçon ou leur fille :
C'est la crapule. Un homme était à la Bastille,
Un autre était forçat : et tous deux, citoyens
Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens :
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose
Qui leur fait mal, allez ! C'est terrible, et c'est cause
Que se sentant brisés, que, se sentant damnés,
Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez !
Crapule. Là-dedans sont des filles, infâmes
Parce que, vous saviez que c'est faible, les femmes,
Messeigneurs de la cour, que ça veut toujours bien,
Vous leur avez craché sur l'âme, comme rien !
Vos belles, aujourd'hui, sont là. C'est la crapule.
. . . . . . .
Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-là sentent crever leur front...
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes !

Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir,
Où l'Homme forgera du matin jusqu'au soir,
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes,
Où, lentement vainqueur, il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,
Plus ! Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-être terrible:
Nous saurons ! Nos marteaux en main, passons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !
Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour :
Et l'on travaillerait fièrement tout le jour,
Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l'on se sentirait très heureux; et personne,
Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer !
On aurait une hache au-dessus du foyer...

Oh ! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille !
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs
Où nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout à l'heure
Je parlais de devoir calme, d'une demeure...
Regarde donc le ciel ! C'est trop petit pour nous,
Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !
Regarde donc le ciel ! Je rentre dans la foule,
Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales pavés :
Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés
Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France
Poussent leurs régiments en habits de gala,
Eh bien, n'est-ce pas, vous tous? Merde à ces chiens-là !

Il reprit son marteau sur l'épaule. La foule
Près de cet homme-là se sentait l'âme saoule,
Et, dans la grande cour, dans les appartements,
Où Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l'immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse,
Bien que le roi ventru suat, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le chapeau de cuir au front !





Les Dieux omnipotents ont donnés à cet écrit la véhémence de franchir les ages, c'est donc qu'il doit renfermer des énigmes qui ne sont pas les siennes, peut être ceux des hommes qui sait...

Par Brianos le 9/12/2001 à 13:41:43 (#518521)

Fichtre! :)

Par Nidhog le 9/12/2001 à 13:50:50 (#518570)

Le temps passe, mais tout reste vrai... ;)

Waou.... *scié*

Par Samsagace le 9/12/2001 à 13:52:56 (#518584)

Ben là.... Euh....
Pfiou....
*essaye d'etre plus constructif*
Je crois que le Roi n'a plus le choix, il va devoir nommer un Griffon barde royal car de mémoire de démiosard, jamais je n'ai vu telle qualité!
Bravo est un faible mot, ton poème est digne des plus grands.

Par Larween Torcryss le 9/12/2001 à 13:53:33 (#518587)

NIdhog je sens dans ton souffle des étrennes de révolte...

Par Etoile le 9/12/2001 à 16:22:19 (#519376)

*Magnifique y'a pas à dire...*

Elder?

Vous vous êtes trompé d'endroit ce poème devrait aller dans le concours de bardes inter-clans...

Allez hop hop hop ou je prends Archer et Freepouille en otages moi :)

Petite Etoile
*gardienne provisoire du concours de poésie

Par Larween Torcryss le 9/12/2001 à 16:36:24 (#519456)

CHère Etoile, vos propos sont de bein loin trop élogieux à mon égar, un veiux forban comme moi ne mérite pas les compliments d'une aussi ravissante jeune fille. Mon écrit n'aurait pas sa place dans une joute, fusse-t-elle la plus pacifiste.

Je veux bein essayer d'écrir un poème qui trouvera foyer dans vorte concours, mais je crains fort que mon état de santé ne me l'interdise.

Amicalement,

Par Un Archer le 9/12/2001 à 17:33:51 (#519824)

Je ne savais pas ce baratineur d'Elder revolutionnaire :)

Euh....

Par Aërandis le 9/12/2001 à 17:49:38 (#519908)

Oula...... Que dire de plus sinon saluer cette magnifique démonstration de verve poétique.

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