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Une nuit Ă  Chateau-Zenthyl

Par ADONAI le 5/8/2002 Ă  14:42:05 (#1918308)

Une nuit Ă  Zenthyl keep.

Les dernières lueurs du crépuscule s’effaçaient lentement dans le lointain. L’auréole rougeâtre qui nimbait les montagnes du couchant diminua insensiblement, pour finalement disparaître totalement. La voûte stellaire était magnifique ce soir là : la lune, discrète, n’éclipsait en rien la splendeur de ce ciel parsemé d’étoiles, si nombreuses qu’il aurait pu passer le reste de son existence à les simplement compter, sans pour autant achever sa tâche. Etait-ce un moment exceptionnel ? Ouvrait-il pour la première fois les yeux à une splendeur toujours présente, mais jusque là dédaignée ? Il l’ignorait. Quoi qu’il en soit, cette nuit était particulièrement ensorcelante. Elle était différente de toutes les autres : ce soir, en effet, le jeune novice allait rencontrer la mort. Il effleura rêveusement la rambarde de marbre qui délimitait la grande terrasse du temple réservé au noviciat, et frissonna soudain sous la morsure d’une légère bourrasque de ce vent glacé, si commun dans les hauteurs de la ville, ce vent venu des monts environnantes. Sous l’effet conjugué du froid et de cette sourde angoisse, sournoisement lovée au creux de son estomac, il se mit à trembler et ramena fiévreusement sa capeline sur ses épaules, en quête de chaleur et de réconfort. Son regard s’arracha, presque à regret, à la contemplation de l’immensité, pour observer la vaste cité qui s’étendait en contrebas. L’ordre implacable de la ville haute s’évanouissait abruptement au-delà de l’enceinte intérieure. La parfaite symétrie, les vastes bâtiments d’un même marbre noir, la magnificence de ses statues, de ses jardins à l’apparence subtilement sauvage, soigneusement étudiés pour entretenir l’illusion d’une croissance anarchique, tout cela cédait brutalement la place au désordre et à l’anarchie la plus totale. Les larges avenues, les places spacieuses, se transformaient soudain en sombres venelles, en ruelles sinueuses. La lumière du quartier des temples, généreusement dispensée par d’innombrables braseros de fer forgé, semblait engloutie par les ténèbres de la ville basse. Une auguste majesté, à peine troublée par le passage régulier des patrouilles de templiers, se transformait en intense fourmillement pour qui savait décrypter les messages du silence et de l’ombre. Nul ne défiait, en apparence, le couvre-feu édicté dans tout zenthyl dés le couché du soleil. Ce n’étaient que glissements furtifs, silhouettes à peine perceptible longeant les bâtisses aux volets clôt, feulement discret d’une lame qui tranche ou transperce, râle étouffé d’une victime, pas légers d’un meurtrier. La nuit venue, les bas-quartiers, l’essentiel –ou presque- de la cité, devenait véritablement le royaume des ombres. Ce monde, pourtant, n’était pas si chaotique qu’un étranger aurait pu le penser de prime abord : il avait ses lois informelles, ses commandements tacites, ses codes ancestraux et immuables, entretenus avec soin par la vigilante attention des guildes, toute-puissante du crépuscule à l’aube. Il n’était qu’un seul crime, aller contre la volonté des puissants, et un seul châtiment, une mort rapide et impitoyable…

Tout cela, le jeune prêtre le savait : on le lui avait enseignait lors de son arrivée au temple, six ans plus tôt. Le jeune provincial d’alors, adolescent maladroit en butte aux railleries de ses camarades citadins, avait écouté, fasciné, les récits des cadets, ces histoires terrifiantes que l’on se racontait le soir venu, après l’extinction des feux. Il réalisait donc fort bien ce que signifiait l’ordre qu’il avait reçu en prenant son service pour les vêpres, tôt ce matin là : se rendre en la demeure de Lord Orgauth, à minuit, pour y répondre à une convocation subite, ce après avoir traversé le ‘monde des ombres’ sans la moindre escorte, ni le moindre signe ostensible de la protection d’un puissant, n’était que trop parlant. Il tentait de se convaincre que l’on avait fait passé le mot, que sa sortie était prévue, que tout se passerait bien, mais il savait bien, au fond de son être, que l’on ne procédait jamais ainsi. Quelqu’un, quelqu’un part au sein de la complexe bureaucratie du clergé zenthar, à l’un quelconque des nombreux degrés de sa non moins complexe hiérarchie, avait désiré sa mort. Il devait périr ce soir, et en ignorait même la raison : pourquoi ? Qui soutiendrait le bras du tueur qui lui trancherait la gorge ? La folle hypothèse d’une erreur, séduisante par la lueur d’espoir qu’elle entretenait, revenait constamment hanter ses pensées. Ce ne pouvait être les bibliothécaires ! Il n’avait jamais compulsé que des ouvrages mineurs, et aucun bien sûr qui figura à l’index. Il ne connaissait rien des magiocrates et c’est tout juste si il transmettait parfois un rapport circonstancié à l’un des serviteurs de l’archimage, toujours sur les sujets les plus insignifiants. Il était impensable que l’on veuille le voir disparaître pour le simple rappel d’un ouvrage trop longtemps retenu par l’un des magistères de la phalange noire, ou l’anodine demande de transcription d’un livre nouvellement obtenu par le temple… Quand aux guildes, cette simple supposition était blasphématoire : les assassins, si essentiels qu’ils soient, ne disposaient d’aucun pouvoir réel. Ils obéissaient aux ordres, et prenaient garde de ne jamais s’impliquer dans les intérêts de leurs puissants commanditaires. Leur neutralité demeurait depuis des siècles le garant de leur survie en tant que caste, et jamais ils n’auraient eux-mêmes désigné une cible, outrepassant ainsi le verbe de l’ordre noir ! Il ne fréquentait guère les cercles nobiliaires, et n’avait rien fait ni dit qui puisse lui attirer l’inimité de l’une des anciennes familles. Quand aux militaires, que leurs importait l’existence d’un obscure serviteur de l’ordre, officiant au sein de l’intendance et des services d’archivage ? Une dernière faction demeurait, la seule source plausible de cette sentence définitive : la théocratie elle-même, et sa bureaucratie tentaculaire. Il doutait que l’on ait voulu sa mort au sein de son propre département : aucun novice ne convoitait son poste et ses supérieurs s’étaient toujours montré satisfait de son travail. Pourtant, il ne connaissait aucun secret véritable, n’avait jamais œuvré à quelque tâche d’importance, ni déranger quiconque de quelque manière que se soit : rien dans son existence paisible et besogneuse ne justifiait semblable décision. Il ne comprenait pas.

Les cloches du temple résonnèrent soudain. Lorsque le neuvième coup fut sonné, il referma hâtivement sa capeline et descendit lentement les marches cyclopéennes menant à la grande place, qu’il traversa aussitôt, sans omettre de saluer le silencieux lieutenant qui encadrait les gardes de l’édifice. La voie sacré qui menait des temples à l’enceinte s’effaça bien plus vite qu’il ne l’aurait voulu : son ordre de mission fut visé par le factotum, qui le dévisagea étrangement, visiblement conscient du caractère extrêmement inhabituel de cette sortie nocturne. Il frissonna lorsque le claquement sec du portail qui se refermait annonça son entrée dans le royaume des ombres. Il ne reconnaissait pas les maisons, pourtant si familières, tant les ténèbres lui paraissaient denses, marquant la cité de leur empreinte, transformant chaque bâtisse, chaque rue, chaque statue en une forme menaçante. Des rumeurs lointaines lui parvinrent subitement, pour s’évanouir aussitôt. Il maîtrisa à grand peine le tremblement continu qui agitait son corps et s’engagea dans une venelle, prenant la direction de la demeure de lord Orgauth, sise à l’autre bout de la cité, à plus d’une demi-heure de la marche la plus rapide. Il sentit aussitôt d’imperceptibles regards se poser sur lui : un point situé entre ses omoplates le démangeait douloureusement, là où il devinait se poser les yeux d’innombrables tueurs, là –sans doute- où viendrait s’enfoncer la lame meurtrière…Il força l’allure, inconsidérément sans doute, car un fort point de coté l’obligea à s’arrêter quelques minutes plus tard. Le silence, pesant et mensonger, régnait toujours sur la ville basse. Il l’aperçut alors. La silhouette encapuchonnée de noir, sombre et élancée, se tenait à vingt mètres seulement de lui, presque immobile. L’homme, nonchalamment adossé à un vieux portail, abrité sous un porche sculpté, se tenait face à lui. En dépit des ténèbres qui dissimulaient son visage, il percevait la brûlure cuisante de ce regard, froid et avide, posé sur lui. La panique le gagna presque aussitôt : son cœur s’emballa et ses jambes cessèrent de lui obéir. Il couru à perdre haleine, son cerveau perdu dans une brume opaque, tournant ici à gauche, là à droite, incapable de dire où il allait ni ce qu’il recherchait. Il n’existait aucun secours providentiel à espérer, aucun havre de paix où il puisse se réfugier. Il courrait néanmoins, sans raison ni espoir, le souffle coupé, l’esprit égaré. Lorsque cette fuite éperdue et dénuée de sens s’acheva enfin, il s’écroula contre le rebord de marbre noir d’une antique fontaine. L’eau glacé lui engourdit la main mais réveilla ses sens. Son cœur affolé semblait vouloir se rompre et son sang battait à ses tempes, assourdissant. Il n’entendait rien d’autre que ce battement sourd, ne sentait rien d’autre que le froid mordant de l’onde. Seule sa vue demeurait intacte, aussi jeta-t-il un regard circulaire et inquiet autour de la place : l’assassin se tenait là, immobile, assis paisiblement sur une margelle de pierre. Bien que l’ombre d’un vaste bâtiment le dissimula parfaitement, le jeune prêtre l’aperçut aussitôt, comme si son bourreau l’avait désiré. Son corps céda sous l’effet de la peur et de la fatigue, et ses jambes refusèrent de le porter plus longtemps. Il s’écroula à genou et se mit à sangloter sans pouvoir s’arrêter, incapable de quitter le tueur des yeux. Il réalisa bien trop tard qu’un autre homme venait de quitter une ruelle adjacente, traversant furtivement la place pour se porter à son niveau. L’acier qui brillait dans sa main gauche l’informa pourtant de sa présence quelques instants avant qu’il ne frappe. Le jeune prêtre contempla passivement le visage de la faucheuse et vit le bras se lever lentement au-dessus de lui. Il ferma les yeux et attendit le coup fatal…

Quelques fragments d’éternité s’écoulèrent, sans que la cinglante et fugace douleur ne l’envahisse. Il regarda craintivement l’assassin. A sa grande surprise, celui-ci s’était totalement désintéressé de sa personne. La dague avait rejoint son invisible fourreau, et le sombre personnage se tenait étrangement, le bras droit replié contre la poitrine, le buste légèrement penché en avant. Le salut déférent s’adressait visiblement à son poursuivant : hébété, son regard alla de l’un à l’autre, sans véritablement comprendre. L’assassin se releva nonchalamment et s’approcha avec une lenteur calculé. Le nouveau venu s’effaça aussitôt, et disparut aussi soudainement qu’il était apparut. Il balbutia quelques marmonnements incompréhensible, tandis que l’homme avançait et releva la tête lorsqu’il s’immobilisa devant lui, relevant son capuchon. Son visage inexpressif s’anima un instant, et les commissures de ses lèvres se relevèrent, formant un petit sourire amusé : le jeune prêtre saisi la main ganté de noir, lentement tendue vers lui, et se releva. Tout en lui illustrait sa totale incompréhension, et c’est mécaniquement qu’il s’engagea à la suite de son sauveur dans les rues de la cité. Ils marchèrent quelques temps, sans qu’une parole soit échangée, et débouchèrent finalement dans une petite impasse poussiéreuse et encombrée, entourée de masures en ruine. L’assassin s’avança et gravit une volée de marches irrégulières jusqu’à une petite porte aveugle, flanquée de deux gargouilles grossières. Les statues tournèrent simultanément leurs têtes de granit en direction du tueur, deux paires d’yeux sinistrement luisant se fixant soudainement. Ce dernier esquissa un léger mouvement du bras et murmura doucement d’étrange syllabes, puis désigna de la main son protégé : les regards inquisiteurs se posèrent sur lui, et il sentit d’invisibles palpes parcourir son esprit, en quête de réponses. Il voulait hurler mais aucun son n’accepta de quitter sa gorge, si ce n’est un gémissement sourd et guttural. La lueur verdâtre s’effaça lentement, tandis que les gargouilles redevenaient simples sculptures de pierre. Le battant émit alors un unique cliquetis et s’entrouvrit dans un grincement sonore, dévoilant un escalier abruptement taillé dans le roc. Le passage s’enfonçait dans les ténèbres et le silence, un épais nuage de matière en décomposition, soulevé par l’ouverture de l’huis, retombant lentement sur les marches mal dégrossies. Le guide l’invita d’un geste à s’y engager, puis quitta l’impasse sans un regard en arrière, le laissant définitivement seul. Seul avec son désarroi.

L’air était étrangement humide, et chargé en même temps d’une étouffante poussière, soulevée par chacun de ses pas. L’escalier, interminable, l’avait mené jusqu'à un étroit tunnel, marqué à intervalle régulier par des torchères de métal rouillé qui diffusaient une clarté pâle, ainsi qu’une fumée urticante. Les murs étaient de grès sombre, le sol recouvert d’une fine couche de terre battue et le plafond relativement bas, l’ensemble taillé dans la pierre brute. Il marchait depuis plusieurs dizaines de minutes, une heure peut-être, épuisé à la fois par sa course récente et le poids de ses angoisses, par cette attente insupportable. A maintes reprises, il aperçut des grilles de fer rongées par les ans, permettant probablement d’accéder sur un plus vaste réseau de galeries, si ce n’est les immenses égouts de la cité, mais toutes étaient semblablement verrouillées. Nul choix ne s’était offert, nulle option à prendre, si ce n’est celle de suivre cet étroit chemin qui s’enfonçait en pente douce dans les entrailles de la terre. Le silence s’estompa progressivement, remplacé d’abord par un lointain bourdonnement, qui s’amplifia rapidement et enfla jusqu’à devenir enfin identifiable : de lents glissements de pas, des frottements de tissu, le bruit des pages tournées, le crissement d’une chaise tirée sur le sol… Il déboucha dans la bibliothèque quelques instants plus tard, au premier détour de ce long couloir rectiligne. Son existence même était incongrue, si loin de la surface, dans les profondeurs : la salle était de proportion respectable, un peu plus de vingt mètres de long sur dix de large, et de forme rectangulaire. Les murs étaient invisibles, couverts de livres sur les cinq rangées de hautes étagères, leurs couvertures de cuir noir gravées de lettres argentées reflétant la lumière de quatre candélabres disposés aux points cardinaux. Six larges tables de bois, disposées en deux travées parallèles, remplissaient tout l’espace disponible : une dizaine d’homme, encapuchonnés de noir, déambulaient silencieusement. Certains lisaient, d’autres prenaient des notes ou recherchaient un ouvrage dans les rayons, tous avaient en commun de ne pas lui porter la plus petite attention. Des militaires vêtus de mailles et de vêtements sombres, ceints de longues épées au coté, se tenaient aux quatre coins de la pièce, immobiles. Tous, chercheurs comme soldats, portaient le même écusson brodé sur l’épaule : un crâne stylisé, auréolé d’un halo rougeâtre et surmonté d’une tiare d’argent, l’ensemble étant entouré de neufs étoiles noires identiques, symétriquement réparties en un cercle parfait. Il demeura à l’arrêt quelques instants, indécis, puis remarqua que l’un des gardes se dirigeait lentement vers lui : l’homme l’inspecta minutieusement, de haut en bas, puis stoppa net et fit demi-tour, l’invitant d’un geste à le suivre. Ils franchirent l’un après l’autre l’arcade opposée, pénétrant dans un labyrinthique réseau de galeries basses, garnies de portes et de couloirs à intervalle régulier. Ils croisèrent de nombreuses salles illuminées, postes de garde ou pièces dédiées au repos, au travail ou à l’entraînement militaire. Il aperçut une petite chapelle, des cuisines, un réfectoire, de nombreux ateliers : il réalisa vite qu’ils ne traversaient qu’une petite partie du complexe, sans doute beaucoup plus vaste. Sans doute cinq ou six fois plus grand au moins. Deux cents personnes au moins devaient vivre en ces lieux, peut-être le double. Le garde semblaient parfaitement connaître les lieux, et ils progressèrent sans un mot, couloir après couloir, salle après salle : celles-ci se firent progressivement de moins en moins nombreuses, jusqu’à ce qu’ils aboutissent à une petite pièce sobre, vraisemblablement une antichambre. La seule autre issue était une grille de fer forgé aux motifs abstraits, fermant un étroit passage souterrain à l’extrémité d’une courte volée de marches. Deux soldats de haute stature encadraient l’ouverture, impassibles dans d’impressionnantes armures de plaques d’un métal noir et luisant. Leurs heaumes, constitués d’un tenant, revêtaient la forme d’un crâne blanc os, et leurs bras puissants reposaient sur de large épées, sculptées de motifs étranges et inconnus, la lame biseautée en de multiples arrêtes, à l’évidence plus tranchantes que le meilleur des aciers. Le soldat s’inclina respectueusement devant eux, et lui désigna du doigt le portail, puis il se retira sans avoir prononcé une seule parole. L’un des soldats étendit la main, l’invitant à avancer : un déclic sec se fit entendre, et la grille remonta lentement...

Une nuit Ă  Chateau-Zenthyl (suite)

Par ADONAI le 5/8/2002 Ă  14:45:47 (#1918327)

Le couloir ainsi dévoilé était plus réduit encore que les précédents, et il progressait avec difficulté, le dos courbé. Le trajet fut pourtant de courte durée, et il releva la tête au sein d’un amphithéâtre d’une vingtaine de mètres de large, plongé dans les ténèbres à l’exception d’un large brasero de ce même métal noir, emplit de braises rougeoyantes. Il pénétra plus avant et sursauta brusquement lorsqu’une grille se referma derrière lui dans un claquement sonore. L’endroit était plongé dans un silence total, différent, presque sépulcral. Ses yeux s’habituèrent progressivement à l’obscurité ambiante, et il distingua bientôt les seuls meubles de la pièce : neufs trônes taillés d’un bloc dans le basalte, magnifique par leur sobre simplicité, ornaient les murs de l’hémicycle, formant un cercle parfait, avec en son centre une haute chaise de pierre, vulgaire en comparaison. Entre chacun d’eux se trouvait une ouverture grossièrement circulaire, un tunnel visiblement très ancien s’enfonçant dans les profondeurs de la terre. Une sensation étrange le saisit lorsqu’il les aperçut, une peur atavique qui remontait du plus profond de ses entrailles et envahissait tout son corps. L’endroit tout entier exhalait un parfum étrange, inconnu jusque là, l’odeur de la poussière la plus ancienne, décomposée depuis des siècles, mêlée à la senteur nauséabonde du tombeau. La nausée manqua de la saisir, mais un bruit sourd lui fit soudainement reprendre ses esprits : « jeune homme ! » murmurait doucement une voix profonde, visiblement pleine de respect à l’égard de ces lieux. Il se retourna brutalement et aperçut aussitôt la silhouette grise, jusque là dissimulée derrière le dossier du siège central. Son interlocuteur, le premier depuis qu’il avait quitté la sécurité du quartier des temples, était revêtu de la même longue robe noire. Son visage était plaisant, un regard perçant surmontant des lèvres mobiles, elle-même encadrées par un fin bouc méticuleusement peigné. L’homme, âgé d’une trentaine d’année, le salua d’une légère inclinaison du buste tout en s’approchant.

« Bienvenu, messire. Bienvenu dans le domaine souterrain de nos maîtres, bienvenu au cœur de l’empire du zenthyl. Non, il n’est point temps encore pour les questions, elles viendront plus tard. Pour l’heure, je vous invite à vous installer confortablement. Votre attente ne devrait plus être longue… ». Il voulu dire quelque chose, mais ses paroles demeurèrent coincée dans son gosier, noué par la peur et l’émotion. Il ne parvint à émettre qu’un vague murmure rauque, l’écho de sa propre voix lui paraissant des plus inappropriés : « Pour…Pourquoi ? ». Son hôte lui sourit doucement, un lueur déplaisante dans le regard. Il s’apprêtait à lui répondre lorsque qu’un son que le jeune prêtre ne perçut pas attira son attention. Il se retourna aussitôt vers l’un des tunnels, lui intimant le silence d’un geste sec et impérieux, et mit les deux genoux à terre, posant son front contre le sol. Le zenthyllais hésita sur l’attitude à adopter, et décida finalement de demeurer assis, scrutant nerveusement l’obscurité du passage. Il ne vit rien de prime abord, puis distingua une forme qui se précisait lentement. Un homme pénétra dans l’amphithéâtre d’une démarche hésitante, se déplaçant visiblement avec difficulté. Il portait une vieille toge monastique, de couleur ocre, tachée et déchirée par endroit. Ses mains étaient jointes dans un manchon de fourrure mitée. Il se rendit jusqu’au trône le plus proche, à sa gauche, et s’y assit avec une crispante lenteur. Il releva alors la tête et le jeune clerc entr’aperçut un instant l’intérieur de son capuchon, retenant un cri de terreur : en lieu et place de son visage, il trouva un crâne d’une blancheur osseuse et deux flammes rougeoyantes brûlant dans ses orbites creux. Son regard ne croisa celui du mort-vivant qu’un court instant, mais il ne recouvra le contrôle de ses muscles qu’après plusieurs minutes d’une totale paralysie. Une totale panique s’empara de lui dans l’intervalle, et il distingua au travers d’un brouillard opaque de sensations l’arrivée des huit autres créatures. Lorsqu’il reprit l’usage de ses sens, le serviteur humain avait disparu, et neuf paires d’yeux rougeoyant étaient fixé sur lui : toutes étaient de même espèces, mais aucune ne ressemblait véritablement à ses congénères. Là où l’un portait une antique armure rouillée, jadis magnifique et aujourd’hui méconnaissable, complétée par une splendide masse, puissamment enchantée, l’autre s’appuyait sur une canne à pommeau d’argent perpétuellement neuve, en harmonie avec une redingote rongée par les ans. Leurs tailles différaient, ainsi que leurs statures, leurs vêtures, couvre-chefs, armes ou armures : tous cependant présentaient un crâne d’un blanc immaculé, auréolé d’un aura rougeâtre, complétés pour certain d’un heaume ou d’une tiare. Tous étaient tournés droit vers lui, et il sentait d’innombrables esprits se mêler au sien, en quête de vérité première, de cette lumière personnelle qu’était son âme. Lorsqu’ils l’eurent découvert, isolée et appréhendée, les palpes de leurs psychés se retirèrent aussi soudainement qu’elles avaient envahies son cerveau. Il réalisa alors qu'il hurlait depuis de longues minutes, et l’écho perpétua ce cri primal pendant quelques instants encore. Il se traînait sur le sol, à genou, humain insignifiant confronté à l’éternité. Il ne criait pas de souffrance ou de peur, mais simplement en réponse au viol brutal de sa conscience, à la dissection impitoyable de son être. Ses rêves, ils les connaissaient. Ses pensées les plus secrètes, des plus honteuses aux plus merveilleuses, ils les avaient écartés négligemment après les avoir analysées. Ce qu’il avait été, ce qu’il était aujourd’hui, sans doute ce qu’il serait demain, tout cela s’était trouvé à la surface, nu, sans défense, totalement impuissant. Il suait à grosse goutte et une violente nausée agitait son corps de soubresaut, bien qu’il fut incapable de vomir ou d’exprimer la rage, l’intense frustration qui dominait présentement son cœur. Il aurait voulu pouvoir les détruire, les broyer, les humilier. Bien sûr, cela aussi était impensable. Il les avait supplier de cesser, il les avait insulté, maudit, menacé, avait imploré ses dieux de lui venir en aide. Il avait quémandé la mort et son oubli bienfaisant. Bien évidemment, les créatures n’en avaient eut cure. Peut-être n’avaient-elle pas même prêté attention à ses suppliques désespérées.

Il se résigna finalement et ce tumulte intérieur s’apaisa quelque peu, remplacé par un vide intérieur immense et béant. Il se mit à sangloter doucement. Soudainement, une voix d’outre-tombe résonna dans l’espace environnant. L’un de ses bourreaux venait de s’exprimer, avec une tranchante concision. ‘Rejeté, trop fragile’. Celui ou celle qui se tenait à sa droite reprit presque aussitôt, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elles se fussent toutes prononcer sur sa mort ou sa vie. ‘Je l’accepte pour ma part, il apprendra à être dur’. ‘Sa loyauté est grande, je l’accepte’. ‘Son humanité l’est tout autant, qu’il soit rejeté’. ‘Sa compétence nous sera utile, je l’accepte’. ‘Il a le don, Baine la remarqué parmi le troupeau. Je l’accepte’. ‘Il convoitera l’immortalité et remplacera peut-être l’un d’entre nous, je le rejette’. ‘Je suis notre frère sur ce point et le rejette’. ‘Nous n’avons pas renouvelé nos rangs depuis de trop longues décennies. Qu’il soit accepté en notre sein’. Celui des neuf qui portait la tiare d’argent se leva alors et se tint immobile, tandis que ses semblables regagnaient leurs antres de leurs démarches lentes et hératiques. Lorsqu’ils eurent tous disparu, sa voix profonde et caverneuse envahie la salle de son écrasante puissance : ‘Tu fais désormais partit de ceux-du-dessous, humain, et sert la volonté des neuf, clan parmi les clans, faction parmi les factions. Nous t’avons choisit pour tes qualités intrinsèques et ton absence de liens séditieux, ta virginité intellectuelle et morale. Nous sommes le pouvoir, nous sommes la loi, sur nous repose la stabilité du noir réseau. Tu est désormais la bouche et le bras du conseil, et à travers toi s’exprimera désormais notre volonté : tu sera être de grande influence, puissant parmi les puissants, seigneurs des seigneurs, mais demeurera pour toujours dans l’ombre du dessous, loin des fastes de la cour. N’en doute pas pourtant, tu es désormais l’un des véritables maîtres de notre empire, et tous ceux du dessus te considéreront avec crainte et respect. Nous te formerons, t’éduquerons avec patience et diligence. Tu apprendras à assumer tes nouvelles fonctions et, si tes talents se révèlent aussi prometteurs que certains d’entre nous le pensent, alors, tu siégeras un jour à mes cotés, immortel parmi les immortels, frère de zenthar par le destin. Tu existe désormais, jeune prêtre, et viens de vivre ta seconde naissance : désormais, tu es Tzenth Falu, le diplomate, craint et respecté’. Puis, il regagna à son tour le tunnel tout proche. Hébété, le jeune homme demeura dans les ténèbres, se balançant d’avant en arrière : il sentit tout d’un coup une main se poser doucement sur son épaule. On l’aida à se relever, avec un tel luxe de précautions que celui qui l’aidait ne pouvait qu’avoir endurer les mêmes souffrances. Une autre personne se joignit à eux et il fut porté au travers des couloir. Tout au long du chemin, des mains amis le réconfortèrent, le silence se faisant partout où il passaient, troublé seulement par des paroles amicales et apaisantes. Il flotta ainsi jusqu’à sentir sous lui un épais matelas. On lui retira doucement ses vêtements et une couverture soyeuse recouvrit bientôt son corps douloureux. Une chandelle fut alors mouché et il se trouva à nouveau dans l’obscurité, mais des ténèbres pour une fois accueillantes, qui l’entraînèrent jusqu’aux limbes bienfaisantes, aux frontières du sommeil et de l’oubli. Tzenth Falu, redouté seigneur du dessous, élu du mal le plus pure, venait de naître…

Extrait des mémoires du Seigneur Doutriaux, conteur et baladin des temps oubliés

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